L’octroi du statut d’économie de marché (SEM) à la Chine par l’UE fait l’objet d’un débat toujours plus vif dans l’UE, mais pas seulement, à mesure que s’approche l’échéance de décembre 2016, date à laquelle la Chine devrait, selon l’interprétation qu’elle fait du protocole d'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) signé en 2001, se voir automatiquement octroyer le statut d’économie de marché.
Du côté des mouvements syndicaux, la Confédération européenne des syndicats (CES / ETUC), dont la position sur la question est connue de longue date, s’est associée à la Fédération américaine du travail – Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO) et au Congrès du travail du Canada (CTC) pour publier le 24 mai 2016 une déclaration rejetant avec force l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine. Ils y appellent les dirigeants de l’UE, du Canada et des États-Unis à "refuser d’octroyer le SEM à la Chine jusqu’à ce qu’elle remplisse ses obligations en qualité de membre de l’OMC".
Les syndicats européens et nord-américains y rappellent que le protocole d’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) prévoit son passage au statut d’économie de marché à partir de décembre 2016. Mais de leur point de vue, contrairement à la Chine qui soutient l’automaticité de cet octroi, "des analyses juridiques sérieuses démontrent qu’il n’y a aucune automaticité légale d’octroi du SEM à la Chine au terme de cette échéance".
"Reconnaître le SEM à la Chine affaiblirait gravement les outils les plus efficaces dont nous disposons pour répondre aux pratiques commerciales déloyales de la Chine", affirment les syndicats. "La Chine reste une économie non marchande", plaident-ils, en citant pour exemples "les interventions du gouvernement chinois sur ses marchés boursiers et ses marchés des changes au cours des derniers mois" ou encore "la pratique persistante des prêts concessionnels accordés par de nombreuses banques publiques pour permettre à des entités non viables de continuer à fonctionner". Les syndicats appellent donc les responsables des gouvernements des États-Unis, du Canada, de l’UE et d’ailleurs à "dire clairement que le statut de la Chine ne changera pas tant que celle-ci maintient le niveau actuel d’intervention de l’Etat dans son économie et de soutien étatique à ses entreprises globales".
"Au plan mondial, la Chine produit 50 % de l’acier, 55 % de l’aluminium et 60 % du ciment malgré le fait que sa demande intérieure a diminué", constatent les syndicats en décrivant comment la Chine a "maintenu son énorme capacité excédentaire, exportant ses surplus à des prix inférieurs à ceux du marché". "Outre l’acier et l’aluminium, la surproduction chinoise concerne également des secteurs comme la céramique, les pneus, le papier, le verre, les panneaux solaires et bien d’autres encore", poursuivent les syndicats en pointant "les dommages irréparables" causés par cette pratique aux États-Unis, au Canada et dans l’UE, où "elle a dévasté des communautés entières et coûté leur emploi à des milliers de travailleurs".
"La Chine ne respecte pas le principe de loyauté dans la concurrence dans ses relations commerciales", dénoncent par conséquent les syndicats.
Les syndicats relèvent aussi que "ses interférences dans les affaires des syndicats – en fait le contrôle par l’Etat des organisations syndicales – et l’absence de négociation collective libre doivent être abordées conjointement dans ce contexte par l’UE et les États-Unis avec les autorités chinoises". Car, de leur point de vue, "accorder le SEM à la Chine lui enlèverait toute motivation pour passer d’une économie d’état à une économie sociale de marché, pour respecter les normes de travail et créer des conditions de concurrence équitables au plan mondial".
Les syndicats européens et nord-américains appellent par conséquent leurs dirigeants à refuser d’octroyer le SEM à la Chine jusqu’à ce qu’elle remplisse ses obligations en qualité de membre de l’OMC. "L’octroi du SEM priverait l’UE de sa capacité à faire barrage au dumping chinois", mettent-ils en garde en appelant leurs dirigeants à "rapidement mettre en place des instruments efficaces pour garantir un commerce équitable et assurer l’avenir des industries locales à travers une véritable politique industrielle". "Il faut continuer à recourir à une méthodologie d’économie non marchande pour dénoncer le niveau réel du dumping chinois et pour démontrer que des conditions de concurrence équitables doivent être créées entre la Chine et ses principaux partenaires commerciaux afin d’empêcher que les travailleurs ne deviennent les victimes de pratiques commerciales déloyales", estiment les syndicats.
"Une décision européenne unilatérale d’octroyer le SEM à la Chine pourrait provoquer un afflux massif d’importations à bas prix dans l’UE en raison d’une réorientation des échanges commerciaux", préviennent-ils encore en soulignant "l’effet dévastateur" que cela aurait "pour un grand nombre d’industries manufacturières en Europe". "Ce serait une grave erreur de la part de l’UE de céder maintenant aux pressions et d’octroyer le SEM à la Chine en échange de concessions dans le cadre des négociations du traité bilatéral d’investissement (TBI), concessions qui pourraient de toute façon se révéler illusoires", mettent en garde les syndicats.
Le lendemain, les eurodéputés David Borrelli (vice-président du groupe EFDD), Emmanuel Maurel et Edouard Martin (S&D) présentaient à la presse les résultats de la contre-consultation publique qu’ils avaient lancée le 15 mars dernier afin d’ouvrir le débat sur l’attribution du statut d’économie de marché à la Chine en offrant un contrepoint à la consultation publique lancée début février 2016 par la Commission européenne.
Il ressort des réponses déposées par les quelques 6000 personnes et organisations qui ont répondu à cette consultation qui, contrairement à celle de la Commission, réservée aux entreprises, était ouverte à tous, un rejet fort et transsectoriel de l’idée d’attribuer le SEM à la Chine. 91 % des citoyens ayant répondu s’opposent à l’octroi de ce statut, 8 % des personnes se sont prononcées pour un octroi du statut d’économie de marché à la Chine, mais couplé avec un renforcement des instruments de défense commerciale. 1 % seulement se sont prononcées pour une attribution de ce statut sans condition. D’où le sentiment exprimé par Emmanuel Maurel de "porter la parole de citoyens très inquiets".
90 % des citoyens et des syndicats consultés et 97 % des représentations industrielles consultées s’opposent à l’octroi de ce statut. Un rejet qui ne descend pas en-dessous de 70 % des réponses dans aucun des dix-neuf pays, Luxembourg compris, d’où sont parvenues les réponses.
La consultation a permis de recueillir des témoignages dont il ressort l'incompréhension quant à un possible octroi du SEM à la Chine alors qu'elle ne respecte pas les critères requis, mais aussi "une forme d’exaspération relative à la naïveté de l'UE qui ne se protège pas face au commerce déloyal chinois alors que les autres continents le font". De nombreuses réponses sonnent comme un appel à une Europe qui soit davantage stratège, diplomate et forte vis-à-vis de la Chine et reflètent le désir partagé par de nombreux répondants d'une Europe qui protège et soit capable de préserver son modèle social et environnemental.
"À l'image de ces résultats, le débat parlementaire a montré à une quasi-unanimité que l'UE ne doit pas être l'idiot du village planétaire, mais doit protéger son industrie, ses consommateurs et ses travailleurs", a commenté Edouard Martin en référence au débat qui s’est tenu le 10 mai dernier au Parlement européen. "Nous attendons de la Commission qu’elles nous entendent", a déclaré Emmanuel Maurel, qui souhaite voir "la Commission sortir de l’ambiguïté" et qu’elle soit avec le Parlement européen un partenaire pour convaincre les Etats membres qui se montrent réticents à la modernisation des instruments de défense commerciaux", comme l’ont encore montré les derniers débats au Conseil CAE Commerce. "Il faut faire en sorte que l'Europe reste unie face à une décision qui va impacter l'ensemble des 28 États membres", a conclu Edouard Martin en dénonçant l’hypocrisie de certains pays qui ont des intérêts particuliers dans cette affaire.
"Tout le monde doit savoir que si quelqu’un distord le marché, l’Europe ne peut rester sans défense", a pour sa part mis en garde Jean-Claude Juncker au cours d'un point de presse organisé le 26 mai 2016 en marge du sommet du G7 qui se tient au Japon.
Le président de la Commission européenne a en effet conclu ses déclarations en soulignant l’importance que les relations économiques avec la Chine allait recouvrir pendant le sommet. Or, a-t-il déclaré, "ces relations doivent être basées sur des marchés ouverts et concurrentiels et sur le principe de non-discrimination et de compétition loyale".
Jean-Claude Juncker a aussitôt mis l’accent sur "la surcapacité mondiale dans le secteur de l’acier", qui est "une grande préoccupation pour les Européens". "Elle a coûté des milliers d’emploi à l’Europe depuis 2008 et la surcapacité en Chine a à elle seule été estimée à près du double de la production européenne annuelle", a poursuivi le président de la Commission en annonçant son intention de "renforcer nos mesures de défense commerciale". En ce qui concerne l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine, "nous allons en parler de façon détaillée" dès que l’étude d’impact approfondie lancée par l’Union européenne sera terminée, a-t-il indiqué.