C’était le château de Septfontaines dans le Rollingergrund, la demeure du patron des grandes faïenceries de la toute première époque industrielle sous l’Ancien Régime encore, qui a fourni le décor de la conférence de presse d’été des six eurodéputés luxembourgeois qui s’est tenue le 5 juillet 2013.
Les six députés européens ont d’abord commenté leurs dossiers ou bien une question qui les travaille.
Astrid Lulling (PPE) a répété que le KAD sera construit. Elle a de nouveau expliqué son opposition à la TTF et s’est dit désolée de l’issue du vote en faveur de la coopération renforcée dans ce domaine. Elle continuera de militer contre l’inclusion des fonds UCITS et des fonds de pension dans le champ d’application de la TTF. Elle a averti que rien n’était encore clarifié en ce qui concerne la dimension financière de la nouvelle Politique agricole commune 2014-2020 basée sur le cadre financier pluriannuel (CFP) sur la même période. Elle a aussi répété son opposition à une approche "from top to bottom" de la question des quotas des femmes dans les instances dirigeantes des grandes entreprises cotées en bourde.
Georges Bach (PPE) voudrait avant tout que les rapports sur la directive "droits des passagers" et le 4e paquet ferroviaire soient passés en plénière avant la fin de la législature.
Frank Engel (PPE) s’est dit inquiet pour l’avenir des droits civiques fondamentaux dans un certain nombre d’Etats membres, nouveaux ou anciens. Il a cité le cas de la Hongrie, où il a soutenu contre l’avis de sa famille politique, le PPE, le rapport Tavares sur le respect des droits fondamentaux en Hongrie, une première dans l’histoire de l’UE. Il s’est aussi dit inquiet de la tolérance des socialistes bulgares à l’égard du parti d’extrême droite Ataka et de la manière dont le gouvernement grec a fermé les radios et télévisions publiques sans les remplacer par d’autres média où certaines discussions peuvent avoir dont les médias privés se désintéressent. Le Front national risque, au terme des élections européennes de mai 2014, de devenir le plus grand parti français, alors qu’il est violemment anti-européen. Pour Frank Engel, les polémiques au sein des sociétés des pays européens "prennent un tour dangereux". Bruxelles y est la source de tout ce qui va mal, de sorte que le projet européen est en train de perdre l’adhésion des citoyens. L’élection de 2014 risque en tout cas pour lui de voir une montée des extrêmes.
Robert Goebbels (S&D) s’en est pris à une UE qui ne sera pas capable de faire face aux défis de la récession, avec le budget dont elle dispose. Une des causes de la crise est pour lui la désindustrialisation, le recul de la production d’acier et de voitures, avec tout ce que cela a pour implications sur les autres branches de l’industrie comme le pneu, le verre ou l’électronique. La désindustrialisation a conduit à la perte de 2,7 millions d’emplois, 10 % des chômeurs actuels. S’y ajoutent les normes environnementales qui pèsent sur les coûts, alors que dans les autres grandes régions économiques du monde, où 85 % des émissions CO2 sont causées, plus personne n’applique le protocole de Kyoto. L’Europe s’est ainsi manœuvrée dans une impasse dont elle ne parviendra que difficilement à sortir, pense le bouillant député.
Charles Goerens (ALDE) a évoqué ses dossiers liés aux questions du développement et défendu le principe de la différenciation. L’année 2013 voit d’un côté la zone euro aller mieux, mais de l’autre côté la méthode intergouvernementale gagner du terrain. Charles Goerens pense que le prochain Parlement européen sera "plus eurosceptique" et qu’il sera plus difficile de légiférer. Il faut donc constituer au sein du Parlement européen des "pôles de responsabilité" pour mener les dossiers à une bonne fin. Ce sera aussi difficile, pense-t-il d’expliquer pendant la campagne électorale pour les élections européennes pourquoi il faut une UE et un Parlement européen, si le seul à avoir vraiment agi pendant la crise est le président de la BCE, Mario Draghi. Cela met en évidence la nécessité "d’ouvrir d’un nouveau chantier institutionnel".
Claude Turmes (Verts) a quant à lui affiché un autre ton, moins pessimiste. Il a salué le déblocage de plus de 6 milliards d’euros pour la Garantie Jeunes et l’a présenté comme une idée originellement conçu par les Verts il y a quatre ans. Il a aussi salué la nouvelle politique de financement en faveur des PME. Il a par contre durement critiqué les groupes PPE, S&D et ALDE de ses collègues, qui ont voté pour le budget européen 2014-2020. Avec un budget si peu doté, le dernier espoir pour une relance européenne réside dans la BEI, les campagnes de rénovation du bâti ancien et la promotion de l’industrie éolienne qui recèle selon lui le plus fort potentiel de croissance de l’industrie sidérurgique. Le plus grand défi de l’UE actuellement est pour lui la protection des données, qui est la base de l’industrie de l’Internet européenne. Or, estime-t-il, cette industrie est menacée par les USA. La protection des données est donc un enjeu économique majeur. C’est pourquoi Claude Turmes est d’accord avec la résolution votée le 3 juillet 2013 au Parlement européen qu’il faudrait éventuellement envisager dans le cadre des négociations avec les USA sur l'accord de libre-échange la suspension des accords actuels sur les données des dossiers passagers (PNR) ou du programme de surveillance du financement du terrorisme (TFTP) ou SWIFT et de Safe Harbour. Et sous les conditions actuelles, où les USA dictent aux Européens d’empêcher un chef d’Etat d’Amérique latine de surveiller leurs territoires, il faudrait selon Claude Turmes ne pas encore négocier.
Interrogés sur l’hypothèse que la crise politique actuelle au Luxembourg pourrait mener à des élections anticipées et que cela aurait pour conséquence que les dates des élections nationales et européennes différeraient pour la première fois depuis 1979, les députés européens ont donné leur opinion. Astrid Lulling souhaite depuis vingt ans qu’une crise gouvernementale ait pour conséquence que ces deux scrutins n’aient plus lieu le même jour et qu’il y aurait donc enfin une vraie campagne électorale européenne. Frank Engel est d’accord avec sa collègue, mais craint que de telles élections européennes puissent être détournées de leur objet premier et servent d’exutoire en devenant un espace où s’exprimerait d’abord un vote de protestations.
Le rapport Duff, qui avait été voté la veille au Parlement européen, qui préconise que les candidats à la présidence de la Commission devraient présenter leur programme politique dans tous les États membres et demande que les bulletins de vote mentionnent les partis politiques européens et nationaux, a été un autre aspect des élections européennes qui a été abordé. Pour Frank Engel, les partis politiques européens ne sont pas des partis politiques, mais une famille politique qui est nécessaire pour rallier des votes quand il s’agit de pourvoir les grandes postes dans l’UE. Ce que font par contre certains partis membres de sa famille politique, le PPE, dans leur Etat d’origine, a déjà provoqué en lui mainte consternation. Le PPE regroupe plus de 50 partis qui se disent de centre-droit issus de 26 Etats membre. Un de ces partis est le FIDESZ hongrois, ce qui lui plaît d’autant moins que ce parti s’en prend entretemps ouvertement à l’UE.
Pour Astrid Lulling, "il ne faut pas surestimer le rapport Duff", qui relève pour elle du "wishful thinking". La doyenne des députés est aussi contre la clause de ce rapport qui demande que "le candidat à la présidence de la Commission qui a été proposé par le parti politique européen ayant remporté le plus de sièges aux élections soit le premier dont la candidature est étudiée en raison de sa capacité à obtenir le soutien de la majorité absolue nécessaire du Parlement européen". Car un membre de la Commission doit être proposé par le gouvernement de son pays. Or, elle voit mal Michel Barnier, potentiel candidat tête de liste du PPE, être proposé par le gouvernement de gauche en France, ou la chancelière CDU Angela Merkel proposer Martin Schulz du S&D.
Pour Claude Turmes par contre, il est important que les partis européens soient renforcés en tant que partis, que les parlements nationaux aussi soient plus impliqués dans la politique européenne et qu’aussi, plutôt que de chipoter sur les détails, l’on présente positivement les décisions européennes qui le sont vraiment.
Charles Goerens a lui défendu le rapport Duff, mais estimé que le prochain président de la Commission sera candidat à un poste dévalorisé par les dix ans de mandat de José Manuel Barroso qui a laissé le champ libre à une gouvernance intergouvernementale de l’UE. C’est cette dévalorisation du poste de président de la Commission qui sera selon lui le boulet principal de la prochaine campagne électorale européenne.