Claude Wiseler, le président du groupe CSV, principal parti de l’opposition et plus forte fraction à la Chambre, a ouvert le 6 mai 2015 le débat sur la Déclaration du Gouvernement sur la situation économique, sociale et financière du Luxembourg, reprochant au gouvernement de ne pas avoir présenté d’analyse de la situation du pays "comme base de toute politique". Claude Wiseler aurait préféré que le Premier ministre fût allé "au-delà des généralités" et a mis en doute le fait que le gouvernement se trouvât "sur la bonne voie", leitmotiv de l’intervention de son chef Xavier Bettel la veille. Il a ainsi critiqué le fait que le Programme de stabilité et de croissance (PCS) du Luxembourg récemment envoyé à Bruxelles soit basé sur des chiffres qui présupposent une croissance de plus de 3 % chaque année. Un autre présupposé statistique est que le prix du baril de pétrole resterait aussi bas qu’actuellement et ce sur cinq ans, alors que tant d’événements bouleversent les régions d’où le pétrole est extrait.
De même, le PCS luxembourgeois est conçu comme si le BEPS, ce plan d’Action de l’OCDE sur l’érosion de la base fiscale et le transfert de bénéfices qui aura bientôt un équivalent au niveau de l’UE, n’allait pas avoir d’influence sur la place financière.
Bref, le gouvernement baserait ses projets sur des chiffres qui ne présupposent pas de changements et n’envisagerait pas de scénario alternatif, se privant ainsi de toute marge de manœuvre en cas de contrecoup.
Claude Wiseler a déclaré ne pas comprendre pourquoi le gouvernement dit d’une part que les finances publiques ne pourront retrouver leur équilibre que si l’intégralité des 258 mesures d’économie qu’il a proposées sont mises en œuvre, alors que d’autre part, certaines de ces mesures ont été abandonnées. Par ailleurs, de nouvelles mesures sont prévues dont l’impact budgétaire n’a pas été évalué ou selon lui sous-évalué. Parler d’une maîtrise du budget lui a semblé abusif.
Claude Wiseler a aussi abordé deux des questions sur lesquelles les électeurs luxembourgeois seront appelés à se prononcer par voie de référendum consultatif, le droit de vote à certaines conditions des étrangers aux élections nationales et la proposition de limiter à dix ans la durée maximale pendant laquelle, de façon continue, une personne peut être membre du Gouvernement.
Le CSV veut continuer à lier la nationalité et le droit de vote mais plaide pour l’instauration du droit du sol, une approche qu’il estime largement acceptée par la population. Il s’est étonné de l’argument économique et d’image avancé par le Premier ministre la veille et a estimé que ce serait un bien meilleur argument de promotion du site économique de Luxembourg que de parler à l’étranger d’une ouverture généreuse de la nationalité. La solution soumise au référendum pour améliorer la démocratie du Luxembourg en revanche est une manière qui n’a été mise en œuvre nulle part en Europe et est donc plus difficile à faire valoir.
Quant à la limitation du nombre d’années pendant lesquelles une personne peut être en continuité membre du gouvernement, Claude Wiseler a avancé l’argument que si le Luxembourg a pu faire valoir sa voix dans l’UE au-delà de sa réalité démographique d’un demi-million d’habitants, c’est grâce à des politiciens qui disposaient d’une longue expérience et d’un large réseau dans l’UE. La limitation du mandat de membre du gouvernement équivaut pour lui à une mesure d’auto-démantèlement d’un vrai avantage du pays.
Eugène Berger, président de la fraction du DP, a pour sa part estimé, tout comme l’avait fait Xavier Bettel la veille, que le Luxembourg "est sur la bonne voie". "La croissance économique prévue pour cette année s’élève à 3,8 %, et sera à 3,6 % pour 2016", s’est-il félicité. A ses yeux, il est toutefois nécessaire de "tenir à l’œil le budget", en vue notamment des répercussions que pourraient avoir des mesures européennes en matière fiscale.
Pour ce qui est de la place financière, sa situation est "bonne", "même sans le secret bancaire", du fait notamment de "son know-how, sa compétence, et sa renommée", estime le député libéral, faisant écho aux paroles prononcées par Pierre Gramegna dans l’édition du 22 avril 2015 du Financial Times (FT). "La transparence est même devenue un atout : nous avons au Luxembourg une place financière propre et transparente", a-t-il poursuivi. Eugène Berger a dans ce contexte saisi l’occasion de féliciter le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, pour la manière dont ce dernier a mené le Luxembourg à travers l’affaire Luxleaks. "Le Luxembourg a certainement été égratigné ici et là, mais au moins, le pays n’est plus sous pression", a-t-il dit. "Dans les discussions qui sont actuellement menées dans le dossier des rulings, le Luxembourg fait partie de la solution, et pas du problème", a-t-il souligné. "Nous misons sur la transparence, et au final, cela rapporte plus à la place financière que de jouer à cache-cache", a signalé le député libéral.
En parlant du chômage au Luxembourg, Eugène Berger s’est penché sur le chômage des jeunes. Dans ce contexte, il s’est félicité du fait que la "Garantie pour la jeunesse", lancée au Luxembourg le 26 juin 2014, a contribué à "aider 2 150 jeunes en 4 mois". "Plus de 70 % de ceux-ci se sont vu proposer un emploi, une formation ou une mesure d’occupation", a-t-il indiqué.
Enfin, Eugène Berger s’est penché sur la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE, qui débute en juillet 2015. A ses yeux, des dossiers européens importants l’attendront, liées notamment aux mesures de protection du climat, au TTIP, à la justice fiscale et à la question des réfugiés. "La Présidence constituera aussi une opportunité de mieux vendre le Luxembourg à l’extérieur et de montrer aux autres Etats membres quelles sont nos forces", a-t-il souligné. A ses yeux, le Luxembourg peut servir de modèle en ce qui concerne son Etat social et sa cohésion sociale.
Alex Bodry, président du groupe parlementaire LSAP, s’est félicité pour sa part du fait que la Commission européenne a confirmé les bonnes prévisions économiques que le gouvernement venait de transmettre dans le cadre du semestre européen, tout en reprochant à l’opposition du CSV de dénigrer et de minimiser ces résultats positifs et d’avoir une attitude "non souveraine".
Il a salué le fait que l’inflation est restée en dessous de 1 % malgré la hausse de la TVA : "C’est une bonne nouvelle que cette hausse n’ait pas eu d’importantes répercussions sur le consommateur et son pouvoir d’achat". Il s’est aussi dit "rassuré" par les prévisions de la Commission qui indiquent que le chômage devrait baisser "pour la première fois" ce qui constituerait un "renversement de la tendance" au Luxembourg.
Malgré cette hausse de TVA et une perte d’environ 600 millions d’euros des recettes de la TVA sur l’e-commerce, les finances publiques sont en équilibre, a souligné Alex Bodry, ajoutant qu’il faut "sortir du cercle vicieux de l’endettement" sans pour autant se limiter à des programmes d’austérité.
Selon lui, l’actuel gouvernement a contribué à un "changement de paradigme" en ce qui concerne l’investissement. Cette nouvelle politique qui constitue une "rupture avec la philosophie de l’ancien gouvernement" s’inscrit dans la politique européenne de la Commission de Jean-Claude Juncker et de son plan d’investissement, a mis en exergue Alex Bodry. Ce plan doit être soutenu par des investissements publics, mais aussi privés, a-t-il dit. Il a précisé que le taux d’investissement a augmenté de 10 % entre 2014 et 2015 et que cette tendance devrait continuer jusqu’en 2018/2019. "C’est important de pousser dans le même sens que l’Union européenne et d’avoir les mêmes priorités", a-t-il insisté.
Alex Bodry s’est encore félicité des bons résultats du Luxembourg dans la mise en œuvre de la stratégie Horizon 2020, dont notamment la baisse du décrochage scolaire en dessous de 10 % et la hausse du taux d’emploi à 73 %, un objectif qui devrait être atteint en 2020, selon le député socialiste. Il a néanmoins déploré une hausse du taux de pauvreté de 13,4 à 16 % entre 2008 et 2014.
Quant à la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE, Alex Bodry a salué que le gouvernement placera de nouveaux accents, notamment en ce qui concerne la "dimension sociale" de la politique européenne. Le Luxembourg jouera le rôle d’intermédiaire entre les Etats membres, la Commission et le Parlement européen en ce qui concerne l’accord commercial avec les Etats-Unis (TTIP), a estimé Alex Bodry. "Le TTIP a eu un très mauvais départ. Il sera très dur de regagner la confiance qui a été perdue en raison d’un manque de transparence", a-t-il dit. La Présidence luxembourgeoise devra veiller à ce que le débat sur le TTIP devienne plus objectif.
"Il vaudrait mieux ne pas avoir d’accord qu’un mauvais accord", a insisté Alex Bodry, pour qui le TTIP ne doit pas dépasser des "lignes rouges" comme les normes européennes sociales, environnementales ou des droits du consommateur. Il s’est exprimé contre le mécanisme de règlement de différends entre investisseurs et Etats (ISDS), estimant qu’il n’était pas normal que des centaines de tribunaux privés se placent au-dessus des Etats. Au lieu de discuter un accord global, Alex Bodry favorise la proposition de l’eurodéputé socialiste allemand Bernd Lange de diviser l’accord en plusieurs parties et de conclure des accords sur les points qui ne sont pas conflictuels. Le député a pourtant concédé que l’Europe ne devait pas s’isoler à long terme, vu le risque que d’autres régions puissent imposer leurs normes.
Viviane Loschetter, présidente du groupe parlementaire des Verts (Déi Greng), estime pour sa part qu’il est nécessaire de mener une politique budgétaire prudente. "Les analyses publiées hier par Bruxelles montrent que nous avons des finances soutenables et une croissance dont d’autres pays ne peuvent que rêver", a-t-elle indiqué, avant de souligner qu’il faut être "prudent quant aux répercussions que peut avoir l’affaire Luxleaks sur le budget de l’Etat". La députée verte indique en outre qu’il faut "tenir à l’œil la conjoncture internationale et le prix du pétrole".
Viviane Loschetter plaide pour une "place financière propre", qui à ses yeux, équivaut à "une place financière durable". "La crise bancaire et financière de 2008 a prouvé que ce sont les banques qui privilégient l’argent sûr à l’argent facile qui ont le mieux survécu à la crise", a-t-elle relevé.
La députée verte plaide en outre pour que la Chambre des députés traite davantage du programme de stabilité et de convergence (PSC) ou du plan national de réformes (PNR), pour que "l’impact du semestre européen" puisse être considéré "à sa juste valeur". "Les discussions autour de la situation économique, sociale et financière du pays pourraient avoir une plus-value si elles étaient conjuguées à des discussions autour du PSC et du PNR avant que ceux-ci ne soient envoyés à Bruxelles", a-t-elle souligné. A ses yeux, les volets national et européen doivent mieux être coordonnés.
"Le développement durable est important et sera un des sujets de la Présidence luxembourgeoise du Conseil", a encore ajouté la députée verte. A ses yeux, le fait de ne pas mettre en place une politique environnementale est plus coûteux que le fait d’en avoir une. "Au cours de la Présidence, le gouvernement jouera un rôle primordial au sommet de Paris", a souligné Viviane Loschetter pour qui il sera important de promouvoir de nouvelles mesures et de nouveaux objectifs pour mieux protéger l’environnement. "Dans ce contexte, il est nécessaire que l’UE parle d’une seule voix", a-t-elle dit.
Enfin, la députée verte s’est félicité du fait que le gouvernement organise une conférence sur TTIP pendant la Présidence. "Le TTIP doit sortir de sa chambre noire et doit être discuté publiquement", estime-t-elle. "Les gens doivent pouvoir s’exprimer sur ce sujet, au nom des principes de transparence et de participation", a-t-elle indiqué.
Pour le député de l’ADR Gast Gibéryen, le fait que les recettes luxembourgeoises aient récemment augmenté n’est pas dû à la politique menée par le gouvernement luxembourgeois, mais aux recettes fiscales liées "à l’économie internationale attirée au Luxembourg" tout comme aux recettes supplémentaires liées aux fonds de pension. Le Luxembourg doit selon lui faire preuve de prudence, "car nous ne savons pas encore quelles peuvent être les répercussions de la fin du secret bancaire et de l’affaire Luxleaks sur les finances luxembourgeoises".
Gast Gibéryen s’interroge également sur les éventuelles répercussions que pourrait avoir la crise grecque sur le Luxembourg. "Si la dette de la Grèce est allégée, qu’est-ce que cela impliquerait pour nos finances publiques ?", s-est-il demandé, avant d’appeler le gouvernement à "regarder la réalité en face".
Pour ce qui est du TTIP, le député de l’ADR estime que les parlements nationaux devraient pouvoir ratifier l’accord. "Un gouvernement ne devrait pas donner son accord au TTIP sans vote préalable au Parlement", a-t-il souligné. Une telle démarche constitue à ses yeux "une mesure de prévention", car "le négociateur saura que tout élément qu’il insère dans cet accord devra être soumis à l’accord de tout parlement national".
Le député de gauche Serge Urbany (Déi Lenk) a de son côté dénoncé "la spéculation" et "les affaires lucratives" qui sont faites avec la dette publique grecque. Ceci aurait "des conséquences fatales pour la population grecque". "La Grèce ne peut pas continuer à servir les hauts rendements des marchés financiers pendant que sa population est écrasée", a-t-il souligné. Dans ce contexte, il regrette que "les mesures concrètes" proposées par la Grèce n’aient pas été retenues. Le Grexit constitue toutefois "un scénario dangereux, sans oublier les effets que celui-ci aurait sur d’autres pays", explique le député. Ceci aurait des effets directs sur le Luxembourg et sur sa place financière. "Voilà pourquoi j’estime que nous sommes directement concernés par la nécessité de trouver une solution à la crise grecque", a-t-il souligné. "Je ne veux pas d’un futur où l’Union européenne s’écroulerait et où les nationalismes réapparaîtraient", a poursuivi Serge Urbany. Le Luxembourg, qui n’a selon lui aucun intérêt à ce que l’UE échoue, doit s’engager pendant sa Présidence du Conseil à "trouver des solutions qui renforcent la situation sociale en Grèce et qui prévoient un allègement de la dette grecque".
En outre, Serge Urbany critique le fait qu’aucun débat n’a eu lieu à la Chambre des députés sur le plan national de réformes (PNR) et regrette que les inégalités et la pauvreté aient augmenté au Luxembourg.
Serge Urbany estime par ailleurs que "le Luxembourg n’a pas tiré les conclusions nécessaires de l’affaire Luxleaks". "Nous nous sommes préoccupés de l’image de notre pays, mais aucun mot n’a été dit sur les dommages que la politique fiscale du Luxembourg a causés à d’autres pays, par exemple les pays en voie de développement", a-t-il souligné. Le député appelle le gouvernement à coopérer avec la commission spéciale sur les rescrits fiscaux du Parlement européen et à signer l’accord sur la taxe sur les transactions financières, une initiative à laquelle le Luxembourg ne participe pas.
Serge Urbany estime aussi que les négociations sur le TTIP "doivent être interrompues". "L’accord signé avec le Canada prouve que ce genre d’accord n’a rien de bon", a-t-il souligné.
"Nous n’avons pas besoin d’un ‘nation branding’ artificiel écrit par une agence de publicité, mais d’un peuple dont les composantes s’unissent", a conclu Serge Urbany, indiquant qu’il est en faveur du droit de vote des étrangers.