Les ministres des Affaires intérieures de l’UE ont eu des débats intenses sur les propositions de la Commission européenne en matière de migration visant à faire face à la problématique des réfugiés, lors d’un Conseil JAI qui s’est tenu le 16 juin 2015 à Luxembourg. Si les ministres sont d’accord sur le principe de l’agenda, ils sont divisés sur les modalités concernant la relocalisation de 40 000 réfugiés arrivés en Grèce et en Italie. Selon les conclusions, les ministres ont déclaré "être prêts, sur base du principe de solidarité, à faire des efforts afin d’aider les Etats membres qui sont soumis à une pression migratoire particulière". Plusieurs délégations ont par ailleurs souligné la nécessité de "trouver le bon équilibre entre solidarité et responsabilité".
Pour rappel, la Commission a présenté le 13 mai 2015 son agenda en matière de migration, suite à de multiples naufrages de migrants en Méditerranée. Concrètement, elle demande aux Etats membres de prendre en charge sous deux ans 40 000 candidats à l'asile syriens et érythréens arrivés en Grèce et Italie, dans le cadre d’une relocalisation de réfugiés, et d’accueillir 20 000 réfugiés provenant de pays tiers dans le cadre du programme de réinstallation. Des propositions qui ont suscité beaucoup de critiques, notamment de la part des pays de l’est et du Royaume-Uni. Le week-end dernier, le ton est monté notamment entre la France et l’Italie qui accuse la première de refouler des réfugiés à sa frontière avec l’Italie. A noter que plus de 100 000 personnes sont arrivées via la Méditerranée depuis le début de l’année, selon l’UNHCR, dont 54 000 en Italie et 48 000 en Grèce.
Le ministre letton de l’Intérieur Rihards Kozlovskis, qui a présidé le Conseil, a fait état lors d’une conférence de presse à l’issue du Conseil d’une "approche commune" des ministres envers l’agenda en matière de migration, précisant que la discussion portait notamment sur la nécessité à trouver un bon équilibre entre solidarité et responsabilité. Il a précisé que des divergences existent, notamment sur la question si le mécanisme de relocalisation devait être volontaire ainsi que sur les critères pour calculer la clé de répartition. Il a appelé à la solidarité, jugeant qu’il était "inadmissible que certains Etats souffrent une telle pression". Il s’est dit certain qu’un accord sera trouvé lors de la Présidence luxembourgeoise.
Une dizaine d'Etats, dont l'Espagne, refusent le caractère obligatoire de la relocalisation, selon l’agence AFP. "Nous sommes clairement contre cette obligation", a affirmé le ministre espagnol de l'Intérieur Jorge Fernández Díaz à son arrivée au Conseil.
Le commissaire européen en charge des Affaires intérieures et de la migration, Dimitris Avramopoulos, a exclu toute approche volontaire, estimant que ce mécanisme "fonctionnera seulement si tous les Etats y participent" car cela assurera que chaque Etat membre partage sa part d’une responsabilité commune. "Nous avons essayé l’approche volontaire dans le passé avec Malte – et cela n’a pas fonctionné", a-t-il ajouté, insistant que "la solidarité ne peut pas être volontaire" et dénonçant toute "approche à la carte". Il a défendu les critères de la clé de répartition, jugeant qu’ils sont "objectifs, quantifiables et réalistes" et qu’il n’y avait pas eu de propositions alternatives.
Dimitris Avramopoulos s’est dit "optimiste" à ce qu’un accord soit trouvé avant la fin du mois de juillet, comme c’est aussi l’intention du Luxembourg qui prend la présidence du Conseil de l’UE le 1er juillet. Il a dit espérer la conclusion d’un "accord sur le principe" de l’agenda lors du Conseil européen des 25 et 26 juin.
D’autres points de discussions était le renforcement des efforts de retour de migrants irréguliers dans leurs pays et la création de centres d’accueil ("hot spots") aux frontières extérieures de l’UE, où les demandes d’asile des réfugiés devraient être examinées sur leur recevabilité. Ces "hot spots" qui seraient sous responsabilité de la Commission européenne, devraient par ailleurs être complétés par la création d’un dispositif de reconduite aux frontières, ont indiqué les ministres français et allemand de l’Intérieur.
Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes ainsi que de l’Immigration et de l’Asile, Jean Asselborn, a appelé le Conseil européen qui se réunit les 25 et 26 juin à donner son feu vert aux propositions de la Commission, lors d’un briefing national. "Il n’y a pas d’alternative. Il faut que les 28 Etats membres disent oui, sinon, non seulement la crédibilité de l’Europe sera en jeu, mais l’espace Schengen sera en danger si les Etats réintroduisent des contrôles à leurs frontières. Ce sera le chaos", a insisté le ministre. "Personne n’a proposé une alternative à ce paquet de la Commission", a-t-il ajouté. "Si le Conseil européen donne son accord, nous allons trouver des solutions sur les modalités et les détails", ce qui pourra déjà se faire lors du Conseil JAI informel du 9 juillet à Luxembourg, a-t-il expliqué, en disant espérer la conclusion d’un accord avant le 31 juillet.
Les propositions de la Commission ont été "applaudies de presque tous les côtés" et le principe de répartition des charges ("burden sharing") entre Etats membres a été accepté, a indiqué Jean Asselborn qui a évoqué "quelques pays qui ont encore des problèmes avec les modalités".
Il a appelé à aider la Grèce et l’Italie, notamment en matière d’enregistrement des empreintes digitales des réfugiés, une mesure évoquée dans le plan d’action en dix points présenté par le Conseil des Affaires étrangères en avril 2015.
Selon Jean Asselborn, les discussions au Conseil ont porté sur la question "délicate" de différencier entre réfugiés politiques, ayant droit à une protection internationale, et réfugiés économiques. Il a encore insisté sur le fait qu’il n’y a "pas de politique d’asile nationale ou européenne sans retour", soulignant que "l’on ne peut pas accepter que des centaines de milliers voire des millions de gens qui vivent dans des conditions difficiles en Afrique puissent choisir le chemin et faire leur vie en Europe". La coopération entre les services de renseignements et l’Union africaine doit être améliorée, a encore estimé le ministre, ajoutant qu’une réunion sera organisée à ce sujet à Malte pendant la Présidence luxembourgeoise. Selon lui, le "problème essentiel" est de savoir s’il s’agit d’un dispositif unique, comme le souhaitent certains, ou s’il sera prolongé, comme le demandent d’autres.
Jean Asselborn a encore évoqué sa visite en Autriche la veille où "des milliers de personnes ont décidé de rester" sans avoir introduit une demande d’asile ce qui prouve, selon le ministre, "que le système Dublin ne fonctionne pas" et que c’est un "problème sérieux". La ministre autrichienne Johanna Mikl-Leitner, qui avait en amont du Conseil interrompu le traitement des procédures d’asile dans son pays, a réitéré son appel pour des quotas "fixes et justes", jugeant que l’Autriche est la "première destination des réfugiés" par rapport au nombre d’habitants en raison du "traitement rapide" des demandes d’asile.
Les ministres de l’Allemagne, la France et l’Italie ont insisté l’équilibre entre "responsabilité et solidarité", lors d’un point de presse commun à l’issue du Conseil. "Nous voulons montrer que nous sommes un noyau d’Etats qui proposent des solutions communes", a indiqué le ministre allemand Thomas de Maizière. Pour rappel, le ministre allemand et son homologue français Bernand Cazeneuve qui ont également fait une déclaration commune en amont du Conseil avaient publié le 1er juin leur position commune, dans laquelle ils demandent une clef de répartition qui devrait "mieux prendre en compte les efforts déjà effectués par les Etats membres. Thomas de Maizière a indiqué avoir entendu pour la première fois des "contributions constructives" de la part des pays sceptiques aux propositions de la Commission. "Si cette responsabilité n'est pas mise en œuvre, cela risque de signifier la fin de la libre circulation en Europe. Nous voulons l'éviter, mais chacun doit être conscient du danger", avait-il mis en garde en amont du Conseil, suite à une réunion des trois pays avec le commissaire européen Dimitris Avramopoulos.
Le ministre italien de l’Intérieur Angelino Alfano a parlé d’un bon climat et a salué les propositions de la Commission comme "un premier pas pour faire tomber le Mur de Dublin". Il a aussi donné son soutien au "mécanisme de rapatriement proposé par la Commission", autres choses positives obtenues par l’Italie selon son ministre : des échéances claires pour clore les relocalisations et une procédure de plus en plus européenne pour le rapatriement, selon lui nécessairement plus efficace. La gestion des hot-spots ne sera possible selon Angelino Alfano que si "le système de rapatriement fonctionne", car sinon "il saute". Bref, le ministre a perçu chez ses pairs "quelques éléments positifs et quelques signaux d’ouverture".
Bernard Cazeneuve a pour sa part appelé à un "engagement de l’UE pour les "hot spots" et le dispositif de retour de migrants irréguliers, faute de quoi il n’y aura "pas de soutenabilité politique et humanitaire dans l’accueil des réfugiés", en rappelant que cinq pays accueillent 75 % des réfugiés. Il a fait état d’une "volonté politique d’aboutir" au sein des ministres.
Le Conseil a par ailleurs eu un débat sur la mise en œuvre des mesures contenues dans la déclaration sur la lutte contre le terrorisme publiée le 12 février 2015 suite aux attentats de Paris dans laquelle les chefs d’Etat et de gouvernement appelaient à adopter "d’urgence" une "directive robuste et efficace relative à un système européen de dossiers passagers (PNR). La Commission a par ailleurs présenté son programme en matière de sécurité, publié le 28 avril 2015, qui consiste d’un réexamen de sa stratégie de sécurité intérieure de l’Union Européenne (UE) adoptée en 2010. Les ministres ont ensuite adopté des conclusions sur ce programme.