Dans la soirée du 29 mai 2013, Parlement, Conseil et Commission sont parvenus à s’entendre sur une réforme de Schengen. Cet accord intervient près d’un an après un moment de grande tension au sujet de ce paquet législatif qui avait été proposé par la Commission européenne en septembre 2011. La proposition de la Commission répondait notamment aux demandes exprimées par plusieurs Etats membres lors du Conseil européen de juin 2011. L’introduction d’une clause de sauvegarde avait en effet été envisagée par les chefs d’Etat et de gouvernement pour autoriser le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen.
Ce paquet législatif comprend d’une part une révision du mécanisme d’évaluation de Schengen et d’autre part des modifications au code frontières Schengen portant notamment sur les règles relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles.
Lors du Conseil JAI de juin 2012, les ministres avaient adopté une orientation générale sur ces deux textes, modifiant notamment la base juridique du mécanisme d’évaluation de Schengen. Cette décision avait vivement heurté le Parlement européen qui se retrouvait privé du pouvoir de codécision que lui accordait la procédure ordinaire prévue par la Commission dans sa proposition. En réaction, le Parlement européen avait décidé de suspendre les négociations avec le Conseil sur plusieurs dossiers qui étaient en cours. Le sujet avait aussi été discuté à la Chambre des députés.
C’est donc un an après cette tempête institutionnelle que le trilogue a permis d’aboutir à un accord qui devrait être soumis au vote de la plénière début juillet 2013. Le COREPER a d’ores et déjà approuvé cet accord le 30 mai 2013.
La présidence irlandaise, qui a conduit les négociations au nom du Conseil, s’est montrée ravie de "la conclusion fructueuse des discussions avec le Parlement européen". Comme l’a expliqué le ministre irlandais de la Justice, Alan Shatter, "les mesures adoptées assureront une cohérence et une proportionnalité dans les décisions sur la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles et créera un système plus fiable et plus rigoureux afin de superviser la mise en œuvre de l'accord Schengen".
La commissaire en charge des Affaires intérieures, Cecilia Malmström a salué l'accord qui "permet de s'assurer que les Etats ne procèdent pas à des contrôles injustifiés aux frontières et d'agir en cas d'abus".
Du côté du Parlement européen, le rapporteur sur le nouveau mécanisme d’évaluation de Schengen, Carlos Coelho (PPE), a souligné que le Parlement européen avait "réaffirmé le caractère prioritaire de la libre circulation dans l'espace Schengen, tout en renforçant la sécurité des citoyens". Il se félicite de voir "un véritable système d'évaluation qui peut déceler les risques liés à la sécurité de manière précise, efficace, impartiale et transparente, et, par conséquent, aider à les résoudre".
"Cet outil reposera sur la vigilance de la Commission européenne, le droit des inspecteurs d'effectuer des visites inopinées aux frontières intérieures, l'aide d'agences spécialisées, telles que Frontex, et des informations adaptées pour le contrôle démocratique mené par le Parlement européen", a-t-il expliqué.
Renate Weber (ALDE), rapporteure sur la réforme du code Schengen, s’est pour sa part félicitée que l’accord ait permis d’aboutir " à des règles claires, alliées à un contrôle démocratique, pour les cas de dernier ressort qui nécessitent la réintroduction de contrôles aux frontières internes de l'espace Schengen". "Mon objectif principal était de veiller à ce que la Commission et le Parlement soient impliqués et informés dans de telles situations critiques", a-t-elle expliqué.
Le Parlement européen n’a pu obtenir le droit de codécision qu’il réclamait, mais a reçu un droit d’information.
L’eurodéputé luxembourgeois Robert Goebbels (S&D), qui a compté parmi les signataires des accords de Schengen, n’a pas manifesté d’enthousiasme devant cet accord lorsqu’il a été interrogé à son sujet par la rédaction du Tageblatt. Il ne perd pas de vue que l’accord doit encore passer le cap du vote en plénière, et il a pour sa part l’intention de voter contre. Car il tient à Schengen "comme à la prunelle de ses yeux". Et, comme il l’avait rappelé dans un premier temps, le projet de réforme fait suite à une "réaction de peur des ministres de l’Intérieur" lors de l’afflux de réfugiés qui a suivi les printemps arabes de 2011, et ce alors que les difficultés rencontrées aux frontières de l’UE étaient infimes à côté de celles auxquelles a dû faire face la Tunisie par exemple, qui a accueilli 1 million de réfugiés libyens.
Le ministre Jean-Marie Halsdorf, que le Tageblatt a tenté de joindre pour recueillir sa réaction, s’exprimera sur le sujet à l’occasion du Conseil JAI qui se tiendra à Luxembourg le 6 juin prochain : c’est à ce moment-là en effet que la présidence irlandaise prévoit d’informer les ministres du détail de l’accord trouvé.
Le Conseil a publié une brève note présentant les principales dispositions du compromis trouvé sur le mécanisme d’évaluation de Schengen.
Champ d’application : Comme dans le système actuel, les règles ne vont pas s’appliquer seulement à la vérification de l’application de l’acquis de Schengen dans les pays qui l’appliquent déjà, mais aussi dans les pays qui souhaitent rejoindre l’espace Schengen, où il s’agira de vérifier qu’ils remplissent bien toutes les conditions préalables à l’application de l’acquis de Schengen.
Responsabilités : Contrairement au système actuel, où la Commission ne participe qu’en tant qu’observateur, le texte de compromis établit que les Etats membres et la Commission partageront la responsabilité de la mise en œuvre du mécanisme d’évaluation et de suivi.
Evaluations : Les évaluations couvrent tous les aspects de l’acquis de Schengen, y compris l’absence de contrôles aux frontières intérieures. Le compromis ajoute aussi que les évaluations devront tenir compte du fonctionnement des autorités compétentes en matière d’application de l’acquis de Schengen.
Programmes annuels et pluriannuels : La Commission sera responsable de l’établissement des programmes d’évaluation annuels et pluriannuels qui comprendront des visites sur site annoncées et surprises. Les programmes d’évaluation annuels tiendront compte des recommandations faites par l’agence Frontex dans une analyse annuelle des risques. Les visites sur site annoncées seront précédées d’un questionnaire.
Rapports d’évaluation : les équipes d’évaluation rédigeront des rapports qui devront être adoptés par la Commission. Le Conseil adoptera pour sa part les recommandations concernant les mesures correctives jugées nécessaires.
Suivi : L’Etat membre concerné devra soumettre un plan d’action prévoyant de corriger tout manquement identifié. La Commission assurera le suivi du plan d’action jusqu’à sa pleine mise en œuvre et pourra faire des visites, inopinées ou annoncées, tout au long de cette phase de suivi.
Rapport de synthèse annuel : la Commission présentera un rapport de synthèse annuel destiné au Parlement européen et au Conseil pour faire le point sur les évaluations menées.
Le Code frontières fixe les règles portant sur les contrôles aux frontières extérieures et prévoit l’abolition des contrôles aux frontières intérieures, tout en laissant la possibilité de les réintroduire dans des cas limités.
Le compromis trouvé prévoit des mesures spécifiques aux frontières extérieures en cas de manquements identifiés dans le cadre du mécanisme d’évaluation et modifie les règles autorisant la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures.
Comme c’est le cas actuellement, un Etat membre pourra décider unilatéralement de réintroduire temporairement des contrôles aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles, à savoir en cas de "menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure".
Si une telle menace est prévisible, par exemple en cas de grand événement sportif, de grandes manifestations ou de rencontres politiques au sommet, l’Etat membre doit notifier la réintroduction des contrôles prévue, au moins quatre semaines avant, aux autres Etats membres et à la Commission. Un délai plus court est possible dans des circonstances spécifiques. L’Etat membre doit fournir toutes les informations concernant l’ampleur et la durée de la réintroduction des contrôles aux frontières, ainsi que ses motivations. La Commission pourra émettre un avis sur cette notification, et cet avis pourra aboutir à des consultations entre les Etats membres et la Commission.
En cas d’urgence, par exemple en cas d’attaque terroriste, la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures peut prendre effet immédiatement.
L’accord prévoit par ailleurs de nouvelles mesures spécifiques en cas de sérieux manquements en matière de contrôles aux frontières extérieures.
Ainsi, dans le cas où un rapport d’évaluation rédigé dans le cadre du mécanisme d’évaluation Schengen identifie de graves manquements dans les contrôles aux frontières extérieures de la part d’un Etat membre, la Commission pourra recommander à l’Etat membre concerné de prendre des mesures spécifiques qui pourront inclure le déploiement d’équipes de garde-frontières européens dans le cadre du règlement Frontex et / ou la soumission de plans stratégiques pour remédier aux problèmes identifiés.
Dans le cas où un rapport d’évaluation conclut qu’un Etat membre a gravement manqué à ses obligations de contrôle aux frontières extérieures, mettant en danger le fonctionnement de l’espace Schengen, et si la situation persiste au-delà de trois mois, le Conseil pourra recommander, sur la base d’une proposition de la Commission, qu’un ou plusieurs Etats membres réintroduisent les contrôles à tout ou partie de leurs frontières intérieures.
Le manquement en question doit constituer une menace grave pour l’ordre public et la sécurité intérieure. Une telle recommandation ne peut être adoptée qu’en dernier ressort, et le Conseil doit prendre en compte un ensemble de facteurs, et notamment s’assurer que la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures permet de remédier de façon adéquate à la menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, veiller à ce que la mesure soit proportionnée, ou encore voir si des mesures de soutien technique ou financier complémentaires ne pourraient pas régler le problème.