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Les grands enjeux à l’agenda de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE ont fait l’objet d’une série de conférences organisée par la TEPSA à Luxembourg
04-06-2015


Le 4 juin 2015, le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a présenté les grands enjeux à l’agenda de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE qui débutera dans moins de quatre semaines, à l’occasion d’une série de conférences intitulée "Luxembourg EU Pre-Presidency Conference" organisée par la "Trans European Policy Studies Association" (TEPSA) qui a réuni des professeurs et chercheurs de divers instituts européens, mais aussi des fonctionnaires européens et d’anciens hommes politiques, au siège historique du Parlement européen, le bâtiment Robert Schuman.

Son Altesse Royale le Grand-Duc HenriLe discours inaugural, prononcé par Son Altesse Royale le Grand-Duc Henri, a été l’occasion de souligner l’importance de cette 12e Présidence pour le Luxembourg, où "l’aventure européenne a débuté il y a 63 ans". "Notre intérêt national est lié à l’avancée du destin européen", a jugé le Grand-Duc, tout en mentionnant le caractère "historique" de la salle où se déroulait la conférence : la salle plénière du Parlement européen jusqu’en 1979. En rappelant que les présidences luxembourgeoises ont souvent été "couronnées de succès", la "recherche du compromis" ayant toujours primé, le Grand-Duc a souhaité que la Présidence luxembourgeoise "connaisse un plein succès, non pas pour en tirer une gloire personnelle mais pour servir le formidable projet européen".

Avant de détailler les grands enjeux du programme, le ministre Jean Asselborn a révélé le fil conducteur qui guiderait la Présidence : il a assuré que le Luxembourg exercera une "présidence ouverte" qui "mettra les citoyens au cœur du projet européen".

Au cœur du programme, qui se fonde sur les cinq objectifs de l’agenda stratégique de l’UE pour les cinq années à venir, figure la volonté d’"agir de manière résolue et déterminée dans le domaine de la migration", en particulier suite aux récentes tragédies qui ont eu lieu en Méditerranée. La Présidence luxembourgeoise  œuvrera pour un "renforcement de la solidarité en les Etats membres et une intensification de la coopération avec les pays tiers".

Un autre enjeu important constitue l’état de l’économie de l’UE. Le ministre a assuré que tout sera mis en œuvre pour générer de la croissance et créer de l’emploi. L’accord de libre-échange UE-Etats-Unis (TTIP) revêt à cet égard une "importance stratégique, à condition que les normes élevées en matière de protection de l’environnement et des consommateurs, des travailleurs et de préservation des biens publics soient respectées". Le ministre a par ailleurs plaidé pour l’inclusion d’un "ISDS nouvelle génération" et a assuré que le Grand-Duché œuvrera en faveur d’un maximum de transparence dans le processus de négociations. Dans ce contexte, la Présidence organisera, en coopération avec le Parlement européen, la Commission et le Comité économique et social européen, une grande conférence sur le TTIP avec les partenaires sociaux des Etats membres qui se tiendra en octobre 2015 à Bruxelles.

Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean AsselbornL’approfondissement de la dimension sociale européenne constitue une autre priorité clé. La Présidence soutiendra l’idée de la Commission d’une "Europe triple A sociale". "L’accent sera mis sur l’investissement social et tout particulièrement sur l’investissement dans le capital humain, à savoir les compétences, notamment dans les TIC", a précisé le ministre. L’insertion des jeunes dans le monde du travail aura également la priorité.  

Il s’agira également de libérer l’investissement au sein de l’UE. Ainsi, la Présidence luxembourgeoise s’inscrira dans la foulée du plan d’investissement pour l’Europe du président Jean-Claude Juncker, visant à libérer jusqu’ à 315 milliards d’euros pour l’investissement en Europe. Une autre initiative phare sera la mise en place d’une "véritable union des marchés des capitaux". La Présidence poursuivra aussi ses efforts de l’UE pour la création d’une politique industrielle européenne, notamment dans les secteurs de l’industrie spatiale et de la sidérurgie, et pour le développement d’un espace européen de la recherche (EER).

La compétitivité européenne devra également être renforcée. Il s’agira d’agir dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, en garantissant la transparence et la mise en place d’un "level playing field" au niveau mondial. La Présidence se fixe également pour objectif d’aboutir sur la proposition relative à la transparence et à l’échange d’informations sur les rescrits fiscaux, et de faire avancer les travaux sur la directive relative à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS).

Rendre sa dynamique au marché intérieur, en particulier dans le secteur du numérique, constituera un autre grand enjeu du programme. Il conviendra ainsi d’œuvrer pour le démantèlement des barrières qui fragmentent le marché intérieur numérique en 28 "mini-marchés" nationaux. L’examen du futur paquet des biens et des services constituera également une priorité en la matière. Dans le domaine de l’énergie, la Présidence mettra l’accent sur la transition énergétique via les secteurs des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. 

La promotion d’une démarche de développement durable apparaît elle aussi comme étant un enjeu central. Ainsi, la Présidence s’attachera à accélérer la transition vers une économie verte à faible émission de CO2. Au centre de cette démarche figurent deux échéances de taille : le Sommet spécial pour le développement durable à New-York en septembre 2015 ou encore la 21e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (COP21) à Paris en décembre, pour laquelle la Présidence préparera le mandat de négociations et représentera l’UE avec la Commission.

Dans le domaine de la justice, la Présidence s’attachera à promouvoir le respect de l’Etat de droit et s’engager à finaliser la réforme de la protection des données personnelles. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il s’agira de soutenir la mise en place d’un système européen pour la collecte des données des passagers (PNR). La réforme de la Cour de justice de l’Union européenne et la mise en place d’un Parquet européen en 2016 seront-elles aussi au centre des priorités en matière de justice.

Enfin, en matière d’action extérieure, la Présidence s’attachera à promouvoir l’action de l’UE dans le monde et  s’engage pour ce faire à donner son plein soutien à la Haute-Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini. Une importance toute particulière sera accordée à la politique d’élargissement, avec notamment l’ouverture de nouveaux chapitres de négociations avec la Turquie, le Monténégro et la Serbie. La Présidence contribuera également aux travaux en vue de moderniser la politique européenne de voisinage et accueillera, au mois de novembre, la réunion ministérielle du Dialogue "Europe-Asie" (ASEM).

En guise de conclusion, le ministre a abordé les deux sujets qui font actuellement la une de l’actualité européenne, à savoir les questions grecque et britannique. S’il a plaidé pour le maintien de la Grèce dans la zone euro, il s’est également dit convaincu qu’il sera possible de trouver des "terrains d’entente" avec le Royaume-Uni pour garantir son maintien au sein de l’UE.

Plusieurs experts estiment que la Grèce et le Royaume-Uni seraient perdants en cas d’"exit"

Nikos Frangakis, Graham Avery, Juha Jukela, Johannes PollakLors du panel dédié à la question du Brexit  (une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’UE qui fera l’objet d’un référendum d’ici à fin 2017) et du Grexit (une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro), les orateurs n’ont pas voulu spéculer quant à l’issue de ces questions, ils ont néanmoins été unanimes pour dire qu’un "Exit" n’est dans l’intérêt ni de Londres, ni d’Athènes.

Graham Avery, secrétaire honoraire de la TEPSA, explique que le parti travailliste britannique avait organisé un referendum en 1975 en raison de divisions internes. "Ceci est également le cas aujourd’hui pour le parti conservateur de David Cameron, qui, au sein de son parti, doit faire face à un nombre croissant d’eurosceptiques", explique-t-il. David Cameron joue également "la carte de l’hostilité envers l’UE", car au Royaume-Uni, ceci est "de mode", et en vue de récupérer des électeurs du parti UKIP.

Graham Avery signale qu’à travers les négociations qu’entend lancer le Royaume-Uni avec l’UE concernant certaines dispositions législatives de l’UE, notamment en matière de migration, le Royaume-Uni veut être "exempté du rôle d’une ‘Union sans cesse plus étroite’", et éviter "une interférence excessive de Bruxelles" et que l’UE ne devienne "un super-état". Graham Avery se demande néanmoins si David Cameron pourra atteindre ses objectifs, étant donné que "le temps pour entreprendre de telles modifications des traités est court", et que les autres Etats membres de l’UE ne désirent pas aller dans cette direction. Par ailleurs, l’UE aurait déjà entrepris des réformes qui correspondent aux revendications britanniques, notamment en ce qui concerne l’amélioration de la réglementation (REFIT) ou le marché unique numérique. En outre, les dispositions actuelles de l’UE en matière de libre circulation sont à ses yeux plus avantageuses pour le pays qu’elles ne lui nuisent. Qui plus est, certains conseillers de David Cameron lui auraient suggéré de déplacer la date du référendum, afin de ne pas nuire à la présidence britannique du Conseil de l’UE qui aura lieu au deuxième semestre 2017.

Pour conclure, Graham Avery estime que les Britanniques se décideront pour le maintien au sein de l’UE "dès qu’ils auront analysé les alternatives à leur permanence au sein de l’UE" qui seront "moins avantageuses" pour eux. Par ailleurs, les discussions sur le Brexit sont selon lui bénéfiques, car elles permettent de stimuler les discussions sur des réformes qui peuvent s’avérer nécessaires.

Pour le professeur Nikos Frangakis du Centre grec  d'études et de recherches européennes, le Grexit et le Brexit constituent "un outil de négociation". "Le Grexit est mentionné à chaque fois que les négociations se compliquent", a-t-il expliqué.

L’objectif de la Grèce est selon lui d’éviter les souffrances liées aux programmes d’ajustement, tandis que les Britanniques veulent redéfinir leur place au sein de l’UE, hésitants d’accepter la notion d’ "intégration européenne". Aux yeux de Nikos Frangakis, le Brexit et le Grexit ont "un point commun idéologique" : le Royaume-Uni et la Grèce doivent accepter, à contrecœur, des indications venant de l’UE s’ils veulent chacun continuer à profiter de la stabilité économique ou monétaire de l’UE.

Pour Johannes Pollak de l’Institut d’études avancées de Vienne, la Grèce et le Royaume-Uni seraient perdants en cas d’"exit", car les conséquences économiques seraient "désastreuses". La Grèce ne supporterait une sortie de l’euro que si elle parvenait à mettre en place un "plan Marshall substantiel" et envisageait immédiatement de redevenir membre de lâ zone euro.

Le Royaume-Uni perdrait également en poids politique et se décomposerait à l’issue d’un nouveau référendum sur l’indépendance en Ecosse. Enfin, l’UE serait également perdante, car une sortie du Royaume-Uni risquerait de provoquer un effet de domino sur des pays comme la Hongrie, qui commenceraient à poser des conditions pour rester au sein de l’UE. En outre, l’UE ne disposerait plus de l’expertise des Britanniques au sein de ses institutions.

TTIP – un enjeu global qui divise l’Europe

conf-tepsa-ttipAu panel sur le TTIP ont participé Maria Asenius, cheffe de cabinet de la commissaire Malmström, qui a abordé la question du point de vue de la Commission, Marc Hübsch, vice-directeur des Affaires économiques du Ministère des Affaires étrangères et européennes, qui a éclairé la question du point de vue de la future présidence luxembourgeoise du Conseil, et Maja Bucar, professeure slovène qui représentait la perspective citoyenne. 

Maria Asenius a mis en avant le fait que si l’UE que les USA ont été habitués par le passé à négocier avec des Etats plus petits qu’eux, dans le cadre du TTIP, les deux plus grandes puissances économiques discutent sur un pied d’égalité. La Commission s’est néanmoins rendu compte que la politique commerciale est devenue un sujet de controverse. Jamais autant de ressources n’ont été investies pour expliquer les choses et jamais la Commission n’a été aussi transparente sur ce type de dossier, a-t-elle souligné, et ce afin que le débat se base sur des faits. La collaboratrice de Cecilia Malmström a également émis l’espoir que la position préparée par la commission du commerce international au Parlement européen soit votée rapidement et que la Commission se sente ainsi soutenue tout en pouvant rester flexible au cours des négociations dont le 9e round est prévu pour juillet 2015.

La question du mécanisme de protection des investisseurs ISDS, qui préoccupe le plus l’opinion publique, devrait pouvoir être discutée en automne, mais cela présuppose selon Maria Asenius que les USA envoient un signal s’ils veulent continuer à aller dans cette direction.

Marc Hübsch a souligné d’emblée que le TTIP était un sujet très controversé, notamment au Luxembourg, l’économie la plus ouverte de l’UE mais dont la population est, selon l’Eurobaromètre 82, une des plus opposées au TTIP avec celles de l’Allemagne et de l’Autriche. Le même Eurobaromètre montre cependant qu’une majorité des personnes interrogées dans l’UE – 58 % - est en faveur du TTIP. Reste pour Marc Hübsch que l’UE est clivée entre un Nord et un Est libre-échangistes et un Sud qu’il qualifie de "plus défensif". Si ce qu’il appelle "l’administration de la protection" - i.e. la coopération règlementaire, la protection de l’investissement et les barrières non-tarifaires – sont un volet important, il juge encore plus crucial la dimension géostratégique du TTIP, car avec le TTIP, il y a aura des normes globales avec l’UE, et sans TTIP, il y aura des normes globales sans l’UE. Sous Présidence luxembourgeoise, un rapport du Conseil qui fait l’inventaire des problèmes qui se posent dans les Etats membres sera rédigé à l’attention des USA. Parmi ces problèmes figurent les inquiétudes au sujet des OGM et sur le droit des Etats membres à légiférer.

Maja Bucar a dressé un bref inventaire des préoccupations des citoyens qui a déjà conduit à un changement d’attitude de la Commission qui informe mieux et mise sur la transparence. Les chiffres sur ce qu’il faut s’attendre du TTIP en termes de croissance sont contradictoires, a-t-elle indiqué. Le commerce intra-UE pourrait souffrir de la mise en œuvre du TTIP, des emplois pourraient être délocalisés, particulièrement dans le Nord de l’Europe, la partie la plus compétitive, qui pourrait perdre 600 000 emplois. La part du travail dans la répartition des gains économiques pourrait encore baisser, a ajouté la professeure, et même si les services publics ne sont pas en jeu, le message passe mal. Les citoyens semblent peu rassurés vis-à-vis des USA comme concurrent dans les marchés publics. Généralement, la défiance prévaut sur la confiance, ce qui rend la communication entre Commission et citoyens difficile, a encore ajouté Maja Bucar.                 

Au cours de la discussion, Maria Asenius a mis en avant le fait que la question des services publics dépendait des mesures que les Etats membres pourraient prendre chacun de leur côté en matière de privatisations. Elle a aussi expliqué que sur les 600 cas de recours à un mécanisme de type ISDS dans le cadre de la CNUCED, 11 seulement étaient le fait d’une plainte états-unienne. Plaidant de nouveau pour le TTIP et son importance géostratégique, elle a évoqué la possibilité d’une offre au cours des négociations qui pourrait aider l’UE à sortir de sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Finalement, elle a émis l’espoir maintes fois répété par la Commission que les négociations soient conclues avant la fin du mandat de l’administration Obama fin 2016. La ratification du TTIP par le Conseil et le Parlement européen, et en cas d’accord dit mixte par les parlements nationaux des 28 Etats membres, ne pourrait, selon elle, pas advenir avant 2018.          

Le plan Juncker est vu d’un œil plutôt critique par les chercheurs

Adriaan Schout, Luc Frieden, Petr Kratochvil, Iain Begg et Andras InotaiAu panel sur le plan d’investissement Juncker, censé inciter des investissements à hauteur de 315 milliards d’euros dans les trois prochaines années pour répondre à la baisse des investissements depuis la crise financière, les orateurs se sont montrés unanimes et doutent du fait que le plan Juncker peut répondre de manière suffisamment rapide au défi consistant à relancer la croissance et les investissements. Ils ont jugé que le plan d’investissement risque de renforcer les déséquilibres entre les Etats membres, soulignant qu’il ne devrait pas y avoir de préférences pour certaines régions géographiques, mais que ce plan devrait s’appliquer à toute l’Union de manière équilibrée.

Iain Begg, professeur à la London School of Economics, s’est montré sceptique à ce que le plan Juncker soit la bonne réponse à un problème qu’il qualifie de "déficit de croissance". "Le plan Juncker ne va pas changer la donne, et il n’est surtout pas assez rapide", a-t-il dit, estimant qu’il faudrait l’intégrer dans les politiques européennes comme la politique de cohésion ou le programme de recherche Horizon 2020. Il a évoqué des doutes sur la "volonté des investisseurs" qui sont, selon son expérience, souvent très réticents à toucher des fonds publics. Il a encore mis en garde contre les divergences et les déséquilibres entre les Etats membres, dont certains comme l’Allemagne ou le Luxembourg se sont mieux remis de la crise économique que d’autres.

L’ancien ministre luxembourgeois des Finances Luc Frieden, qui est depuis septembre 2014 vice-président du Conseil d’administration de la Deutsche Bank, chargé de conseiller le directoire sur les questions stratégiques liées aux affaires européennes et mondiales, est lui aussi intervenu. Il a estimé que ce ne sera pas le plan Juncker à lui seul qui incitera la croissance économique, mais qu’il faudra en même temps procéder à des réformes structurelles et assurer des finances publiques saines afin de regagner la confiance ainsi qu’un approfondissement du marché unique numérique, de l’Union de l’énergie et de la zone euro. Il a salué le fait que le plan soutient des partenariats public-privé, un "élément nouveau", et affirmé que certains secteurs, comme celui des assurances, ont la volonté et les moyens d’investir. L’ancien ministre a en revanche critiqué le fait que beaucoup de projets recensés par la BEI auraient été "réalisés de toute façon" et a appelé à se concentrer sur de nouveaux projets, tout en se montrant sceptique en ce qui concerne leur mise en œuvre rapide vu que de grands projets sont souvent confrontés à des obstacles bureaucratiques. Il a plaidé pour un plan d’investissement sans "quotas" qui s’applique "à toute l’Europe" et non seulement dans certaines régions, donnant pour exemple des Länder allemands particulièrement performants.

Andras Inotai, professeur et directeur de l’Institut de l’Economie mondiale en Hongrie, a mis en garde contre le danger d’une "Europe à plusieurs vitesses", notamment en raison des contributions très diverses annoncées  par les Etats membres au Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI). Les Etats membres ont des "capacités très différentes d’absorption" ainsi que des "niveau très différents d’efficacité", a-t-il souligné. Pour améliorer la compétitivité de l’Europe, il faudra entre autres améliorer l’efficacité des institutions, veiller à la cohésion, soutenir la création de "sociétés innovatrices" et renforcer la capacité d’ajustement social, a-t-il expliqué. Chaque année, l’Europe perdrait 120 milliards d’euros à cause de la corruption, a-t-il avancé, jugeant qu’un approfondissement du marché numérique ou de l’Union de l’énergie pourrait également épargner plusieurs centaines de milliards d’euros que l’on pourrait réinvestir dans l’économie.

Pour le Néerlandais Adriaan Schout, chercheur à l’Institut des Relations Internationales "Clingendael", le plan Juncker constitue un "risque politique". De manière générale, il a critiqué le fait que l’UE et la Banque centrale européenne (BCE), deviennent de plus en plus politique et perdent leur indépendance, en donnant l’exemple du délai accordé à des Etats comme la France pour "des raisons politiques", à savoir la menace d’une montée du Front national, parti d’extrême droite. "Tout cela a l’air bien, mais nous ne savons pas comment le plan va être mis en œuvre et pour cela, je pense que le niveau de confiance ne sera pas très élevé", a-t-il dit. De plus, le Parlement européen tenterait, selon lui, d’avoir le contrôle sur le plan Juncker, qui "n’est pas indépendant", alors qu’il est vendu comme tel, mais qui serait selon lui la conséquence d’une "élection politique" d’un président de la Commission ayant promis de la croissance et de l’emploi.

Une politique de voisinage en difficultés ? Les relations UE-Russie et le conflit ukrainien 

Au cours du panel de discussion intitulé "Une politique de voisinage en difficultés ? Les relations UE-Russie et le conflit ukrainien", quatre intervenants se sont partagés le micro : Katrin Böttger, directeur adjoint de l’Institut de Politique européenne de Berlin, Attila Eralp, président du centre pour les études européennes de la "Middle East Technical University" d’Ankara, Deborah Revoltella, directeur du département Economie de la Banque européenne d’investissement qui siège à Luxembourg, et Ramunas Vilpisauskas, directeur de l’Institut des Relations internationales et des Sciences politiques de Vilnius.

Au cours de son intervention, Katrin Böttger a rappelé les trois phases qui ont orienté les relations récentes entre l’UE et la Russie. Marquées notamment par la signature de l’accord de coopération UE-Russie et la solution trouvée à la question de Kaliningrad, les relations ont été "pleines d’espoir" au cours des années 1990. Dans les années 2000, un refroidissement est survenu, avec des intérêts s’opposant de plus en plus et des problèmes de perception et de compréhension mutuelle présageant une stagnation. Puis, depuis la mi-2013 et l’accélération du conflit ukrainien, les relations sont en crise. La question que l’on peut alors se poser est de savoir combien de temps va durer cette phase et que va-t-il se passer ultérieurement. Une pleine adhésion de l’Ukraine à l’UE permettrait certes de mettre en œuvre des réformes dans le pays, mais certains, sceptiques, avancent qu’une perspective d’adhésion offenserait la Russie.

Attila Eralp est revenu sur la révision de la politique européenne de voisinage. Si la politique de voisinage est marquée par les trois critères de volonté, de capacité et d’acceptation, elle n’a cependant "pas été couronnée de succès" car "trop technique". Pour lui, il faudrait un processus de révision qui obéisse à une "approche plus pragmatique" avec des "priorités claires pour le voisinage vers l’est et vers le sud" et il serait également nécessaire d’y inclure une "approche sociale". Attila Eralp a jugé la politique européenne de voisinage comme étant un "instrument nécessaire mais pas suffisant" et a plaidé pour l’instauration d’une "politique de défense commune" et un "plus grand consensus entre Etats membres, notamment pour la résolution de problèmes géopolitiques". L’approche globale de la politique de voisinage révisée devrait d’ailleurs, selon lui, être davantage orientée vers la géopolitique au vu des tentatives de la Russie à renforcer l’Union économique eurasienne, faisant concurrence à la politique de l’UE. 

Deborah Revoltella est revenue sur le financement de la politique européenne de voisinage, dont une partie incombe à la Banque européenne d’investissement. Elle a tout d’abord souligné que si on parle de voisinage, les pays concernés sont tout de même très différents les uns des autres et il y existe des "différences énormes", notamment en termes de PIB par habitant. Si celui de la Moldavie s’élève à 1600 euros, en Israël il est de 30 000 euros. Alors que les pays du sud sont plus marqués par des problèmes en termes de sécurité, les défis à l’est sont plutôt liés aux prix du pétrole. En termes économiques aussi, les besoins ne sont pas les mêmes : si, pour la période 2014-2018, le sud bénéficie de 200 millions d’euros par an pour des investissements en matière d’interconnexion des transports, d’énergie ou d’environnement notamment, l’est se voit octroyer 350 millions d’euros par an.

Enfin, Ramunas Vilpisauskas est revenu plus en détail sur l’accélération du conflit ukrainien, en rappelant que lorsque l’UE avait décidé d’imposer des sanctions à la Russie en juillet 2014, elle avait dû essuyer beaucoup de critiques car cela arrivait trop tard aux yeux de certains. Pour lui, des incertitudes planent sur les étapes à venir et il semblerait que l’on soit aux portes d’un nouveau conflit et que l’on pourrait assister à une troisième révolution en Ukraine. Le conférencier a rappelé que si l’UE ne peut pas imposer des réformes à l’Ukraine, elle peut néanmoins l’inciter à en faire, tout veillant à ne pas "bafouer ses droits souverains". Pour lui se pose également la question de savoir dans quelle mesure les partenaires européens peuvent être considérés comme sérieux. Ramunas Vilpisauskas craint également qu’on ne prenne pas en compte le point de vue des partenaires orientaux. En conclusion, il a appelé l’UE à tracer les lignes rouges à ne pas franchir dans sa politique envers la Russie, car si ces lignes étaient franchies, l’UE risquerait de devoir renoncer à ses valeurs et ses principes.