Le 12 février 2013, se tenait à Bruxelles la troisième et dernière réunion de la Table ronde de haut niveau chargée de discuter de l’avenir de l'industrie européenne de l'acier. Cette plate-forme réunissant les Commissaires européens Antonio Tajani, en charge de l'Industrie, et Laszlo Andor, en charge des affaires sociales, de l'emploi et de l'inclusion, les représentants patronaux et syndicaux, ainsi que deux membres du Parlement européen et les représentants gouvernementaux de 15 Etats membres, dans le rôle d'observateurs, s'était déjà réunie les 19 septembre et 6 décembre 2012. Elle avait pour mission d'identifier, dans un premier temps, les facteurs affectant la compétitivité de l'industrie de l'acier, puis de proposer, dans un second temps, des recommandations censés nourrir un futur "Plan d'action pour l'industrie européenne de l'acier" que la Commission européenne doit présenter en juin 2013.
La Commission européenne avait institué cette table-ronde au vu du repli de la production industrielle provoqué par la crise dans les secteurs de la construction et de l'automobile. Elle s'inquiétait du recul de la production d'acier, désormais en décalage de 20% par rapport à la production potentielle européenne, et de la multiplication des fermetures de site, alors que le secteur va être amené à l'avenir à affronter de nouveaux défis dans le domaine de l'ingénierie mécanique et du secteur de l'énergie. "A moyen terme, 20 % du PIB doit venir de l'industrie en Europe d'ici 2020 et l'acier, avec un standard écologique élevé, est l'avenir de l'Europe comme il fut son histoire", a déclaré au début de la réunion le commissaire Antonio Tajani.
La réunion a été marquée par l'absence du PDG d'ArcelorMittal, Lakshmi Mittal. Alors que Jean-Claude Juncker déclarait depuis Paris, "on le verra, parce qu’on le trouvera", le ministre de l'Economie, Etienne Schneider, a aussi fait part de sa déception. Interrogé en amont de la réunion par la radio RTL, dans l'émission Background am Gespréich diffusée le 9 février 2013, il avait déclaré qu'une telle absence serait "symboliquement, un très mauvais signe", alors qu'il attendait de Lakshmi Mittal du "respect vis-à-vis de trois gouvernements, qui sont réellement touchés par les restructurations chez ArcelorMittal" et évoquait également une plus élémentaire question "de politesse".
Interrogé en aval par le Luxemburger Wort daté du 13 février 2013, il a déclaré qu'il voyait dans cette absence avérée "un peu comme du mépris envers les gouvernements", précisant toutefois qu'il faut absolument discuter avec Lakshmi Mittal, d'autant que ce qu'on a proposé est en faveur de la sidérurgie en général", a-t-il dit.
La réunion de la Table ronde a commencé par l'annonce de la demande envoyée par le Commissaire européen, Antonio Tajani, à Lakshmi Mittal, de différer ses projets de fermeture d'usines "au moins jusqu'à l'approbation du texte du plan d'action de la Commission européenne", et ce parce qu’il se dit "convaincu que nous pouvons donner une réponse pour essayer de défendre l'industrie sidérurgique en Europe".
Dans une interview qu’il a accordée au journal économique belge L'Echo, le représentant envoyé par ArcelorMittal, Robrecht Himpe, a expliqué qu' "il y a des procédures en cours que nous voulons suivre". Il a fait part de ses doutes quant au fait que les recommandations décidées puissent y changer quelque chose : "Bien sûr, il faut voir maintenant tous les éléments qui se trouvent sur la table. Mais je n'en ai pas vu qui nous feraient changer d'avis."
ArcelorMittal a par la suite, au moyen d'un communiqué de presse, indiqué qu'il était "impossible de retarder le déroulement de la phase d'information-consultation relative aux plans de restructuration présentés"."La situation économique en Europe est extrêmement fragile et cela a eu pour effet de considérablement diminuer la demande d'acier. Ne pas prendre de mesure pour répondre à cette situation ne ferait qu'affaiblir l'entreprise en Europe, menaçant ainsi la rentabilité d'autres sites", a expliqué le groupe, en mettant en avant l'intérêt de ses 98.000 salariés européens.
Durant la réunion, Robrecht Himpe, a par ailleurs surpris sinon choqué l'assemblée en déclarant qu'ArcelorMittal n'était pas un groupe destructeur d'emplois en Europe. La déclaration a perturbé Etienne Schneider : "J'ai été assez irrité par le représentant d'ArcelorMittal qui affirmait que sa volonté était d'investir en Europe et d'engager du personnel. Pour ce qui est du Luxembourg, de la France et de la Belgique, c'est plutôt le contraire qui est réalisé." Face à L'Echo, le représentant d’ArcelorMittal a justifié ses propos : "C'est une question de compétitivité. Les gens pensent toujours que l'on veut sortir du marché. Ce n'est pas le cas. Nous voulons rester dans le marché, investir et créer de l'emploi. Mais il doit y avoir une marge de compétitivité."
Etienne Schneider a jugé la réunion "extrêmement positive". "Depuis des mois, on plaide en faveur d'une politique industrielle : cette fois, on a réussi à élaborer un papier et autour d'une même table, se sont retrouvés les patrons, les syndicats, les gouvernements, la Commission et le Parlement européen. C'est un très bon signe!", a-t-il déclaré au Luxemburger Wort. "C'est un très bon début. Reste à voir les détails avec les gouvernements de I'UE pour transposer ces mesures en droit européen et national."
Etienne Schneider n'entend pas relâcher la pression : "Les mesures décidées aujourd'hui vont dans la bonne direction. Il faut maintenant veiller à ce que ce texte ne reste pas lettre morte". Il a ainsi annoncé qu’il allait, avec les ministres français et belge, écrire une lettre à la Commission pour la remercier de l'initiative, maintenir la pression et demander des détails d'avancements dans ce dossier. "On a aussi dit que nous voulions nous revoir assez vite pour donner suite à toutes ces propositions", a-t-il ajouté.
Etienne Schneider se satisfait aussi que des mesures de défense économique contre la concurrence extracommunautaire soient mentionnées dans le texte. L'Europe "a aujourd'hui un désavantage remarquable par rapport à d'autres pays, d'Asie notamment, qui n'ont pas toutes ces normes à respecter. Nous voulons demander la réciprocité à ces pays et voir par quel biais imposer des critères minimums afin de pouvoir importer librement en Europe", a-t-il expliqué au Wort.
Dans l'émission Background am Gespréich, il avait fait état des résistances à cette idée parmi les Etats membres de l'UE : "Quand je propose cela au Conseil Compétitivité, la plupart des pays partagent ma position, à savoir que nous devrions le faire. Mais il y a d'autres pays qui ne le veulent pas. Les Anglais s’y opposent par principe. Les Allemands ne le veulent pas, parce que la majorité de leurs exportations se fait hors de l'Europe et qu'ils craignent d'être sanctionnés en retour dans ces pays", a expliqué le ministre. "Si nous n'avons pas de politique industrielle commune nous perdons l'industrie. Et si elle part, elle ne reviendra pas. Et cela, nous ne pouvons pas nous le permettre", met-il pourtant en garde.
Par contre, sur la nationalisation des sites menacés de fermeture, il n'y a pas de convergences de vue entre les ministres français et belges, qui en sont tous les deux les défenseurs, d'une part, et le ministre luxembourgeois de l'Economie d'autre part. Interrogé sur cette divergence par le quotidien belge Le Soir, le ministre français, Arnaud Montebourg, a rétorqué : "La nationalisation n'est pas taboue, elle est très pratiquée dans le monde. C'est un choix stratégique que la France a écarté même si la nationalisation temporaire reste sur la table, si Mittal ne tient pas ses engagements."
Dans l'émission Background am Gespréich du 9 février 2013, Etienne Schneider a expliqué pourquoi, à son goût, la nationalisation, revendiquée au Luxembourg par Déi Lénk, n'était pas une option : "Toute personne qui est en rapport avec l'économie sait que si, en tant que petit pays, nous prononçons seulement le mot, que nous voudrions nationaliser une entreprise, alors il serait inutile d'aller à l'étranger pour trouver des investisseurs qui viendraient ici. Vous ne devez pas oublier que 95 % des entreprises du pays, c'est du capital étranger", a-t-dit. "Et si on les effraie avec de telles initiatives, alors le site Luxembourg est mort demain. Et je trouve donc cela imprudent de la part de membres de Déi Lénk de revendiquer cela, car c'est carrément irréaliste."
La Table ronde de haut niveau a pu permettre de trouver un accord sur un catalogue de recommandations qui "a pour but une plus forte harmonisation de la politique d'implantation des sociétés", comme l'a expliqué Etienne Schneider au Tageblatt. Il a cité l'intérêt d'une telle harmonisation en prenant l'exemple du transport. Un camion peut charger 44 tonnes en France et 40 tonnes ailleurs, or : "Si nous avions partout la règle des 44 tonnes, les coûts de transport pourraient être réduits de 10 %. Or, pour la sidérurgie, les coûts de transport sont extrêmement importants. Pour ne citer qu'un exemple. "
Le but du cahier de revendications est de "maintenir la compétitivité à long terme du secteur de l'industrie européenne de l'acier dans un contexte toujours plus global", comme on le lit dans le communiqué de presse publiée par la Commission, qui résume ainsi, secteur par secteur, ces revendications.
Poursuite du programme de libéralisation du secteur, avec pour but de réduire les barrières tarifaires et non tarifaires.
Faire de nouvelles analyses d'impact des accords de libre échange – après les négociations mais avant la signature.
Réviser les instruments de défense commerciale pour s'assurer qu'ils sont effectifs, transparents et modernes.
Assurer le fonctionnement efficace du marché interne secondaire de matières premières.
Inclure la "coke de haut fourneau" dans la liste des matières premières critiques .
Eliminer les barrières administratives illégitimes, voir l'impact cumulatif sur la législation dans le secteur, délivrer une analyse du caractère adapté de la législation européenne en 2013.
Créer dans les Etats membres de nouveaux schémas de financement pour le développement de nouvelles technologies, passant par l'affectation des revenus tirés du système d'échange de quotas d'émission.
En développant le cadre de l'énergie et de la politique climatique pour 2030, continuer à prendre en compte les risques de "fuite" de carbone après 2020.
Explorer de nouvelles idées et opportunités pour améliorer la conception politique et les objectifs du système d'échange de quotas d'émission en s'attachant particulièrement à avoir en tête les considérations économiques et technologiques des secteurs et en tenant compte des problèmes de compétitivité globale.
Faire un rapport annuel sur les prix de l'électricité dans l'UE en comparaison avec les économies développées majeures.
Fournir des orientations sur les contrats d'électricité à long terme.
Fournir des orientations sur les programmes d'énergies renouvelables pour mieux les intégrer au marché de l'énergie.
S'abstenir de poser des objectifs tels que la consommation de métaux (20 % en 2020, 50 % en 2050) sans prendre en considération leur implication pour la compétitivité.
Inviter la Banque européenne d'investissement à prendre en considération les demandes d'assistance financière en vue de l'introduction des "meilleures technologies disponibles".
Promouvoir une approche anticipative et socialement responsable de la restructuration en consultant les parties prenantes, en particulier les partenaires sociaux.
Encourager l'utilisation du Fonds social européen pour la reconversion et le recyclage professionnel des travailleurs et maintenir le Fonds européen de globalisation après 2013 comme un des principaux outils finançant l'investissement dans le capital humain et ce afin de réduire les coûts sociaux des licenciements.
Lancer un groupe de travail inter-service pour examiner et suivre chaque cas de fermeture, ou de réduction significative de la taille, d'une usine.
Donner un soutien complet à la recherche et au développement, au déploiement de nouvelles technologies en recourant à tous les instruments disponibles tels que "Horizon2020", "NER3000", les fonds structurels et le Fonds de recherche pour le charbon et l'acier.
Ces recommandations sont davantage détaillées dans le document final de la Table Ronde. C'est sur base de ce papier que la Commission devra réaliser son "Plan pour l'industrie européenne de l'acier" pour juin 2013.
Une réunion consacrée à ce plan acier doit se tenir "avant l'été". Ce plan "doit viser tous les consommateurs d'acier traditionnels (par exemple l'industrie automobile), les nouveaux secteurs verts et durables (par exemple éoliennes), mais aussi le secteur sidérurgique en tant que tel", a expliqué le syndicat luxembourgeois LCGB, dans un communiqué de presse diffusé à l'issue de la réunion.
Représenté par son vice-président, Georges Conter, le syndicat désavoue l'analyse de la situation telle que présentée par les employeurs : "Malgré les déclarations de certains grands groupes sidérurgiques, les surcapacités actuelles sont passagères. A l'Europe de mettre en œuvre tout l'arsenal nécessaire au maintien des capacités de production et ce pour profiter de la prochaine reprise économique."
"Ce texte pose les jalons d’une stratégie européenne pour la mise en place d’une politique industrielle et souligne le rôle structurant et systémique de la sidérurgie dans cette politique", juge pour sa part le syndicat indépendant OGBL, attaché à souligner qu'il était le "seul représentant luxembourgeois permanent de ce groupe" et qu'il "s’est concrètement impliqué dans toutes les réunions" et a contribué à l’élaboration du texte final soumis à la Commission.
L'OGBL informe également que l'après-midi ayant suivi la réunion, il a participé à une réunion de travail avec les syndicalistes belges et français ainsi que les ministres de l’Economie des trois pays concernés. "Cette réunion a notamment permis d’affiner une stratégie commune et d’établir des pistes conjointes pour l’élaboration du plan d’action européen", explique-t-il.