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Migration et asile - Justice, liberté, sécurité et immigration
Midis de l’Europe – La vice-présidente de l'Association Européenne pour la défense des Droits de l'Homme, Catherine Teule, appelle à limiter les effets négatifs du Paquet Asile
24-02-2014


Catherine TeuleDans le cadre des Midis de l’Europe, l'ASTI et ALOS - Ligue des Droits de l'Homme ont invité la vice-présidente de l'Association Européenne pour la défense des Droits de l'Homme (AEDH), Catherine Teule, pour discuter et débattre du Paquet asile. Adopté par le Parlement européen le 12 juin 2013, le Paquet Asile vise à mettre en place une procédure d’asile unifiée pour assurer l’égalité de traitement dans tous les Etats membres. Il entrera en vigueur au second semestre de 2015, et l’AEDH, qui doit publier à la fin du mois de février 2014 un "outil d’accompagnement" pour la transposition du Paquet, entend bien jouer sur les habituelles marges de manœuvres laissées par les législations européennes de l’asile, pour réorienter un projet qui, à de nombreux égards, ne lui convient pas.

En introduction de son exposé, Catherine Teule a souligné l’évolution de l’esprit qui a conduit la politique européenne d’asile depuis l’âge d’or des débuts, à la fin des années 90. Le Conseil de Tampere, en 1999, fut la première fois où le Conseil européen a signifié sa volonté de disposer d’un régime commun d’asile et d’un statut uniforme. Après les garanties apportées à la libre circulation des citoyens européens, "l’idée étant que personne ne devait se sentir exclu de la possibilité d’adresser une demande d’asile à l’Union européenne", rappelle avec enthousiasme Catherine Teule.

Le blocage des Etats membres

L’attitude du Conseil a entre-temps évolué et la législation européenne s’en est ressentie. Depuis lors, l’asile dans l’UE est régi par quatre directives (Accueil, Qualification, Protection subsidiaire et Procédure) et deux règlements européens, Eurodac et Dublin II, mais pas de politique réellement commune et unique dans les faits. Si, alors qu’elle entend créer une procédure unique, la directive Procédure permet tout un ensemble de dérogations, c’est que "les Etats membres dans le domaine de l’asile comme celui de l’immigration ont la plus grande difficulté à concevoir que nous devons avoir une politique commune et unique dans l’ensemble des pays membres", juge la vice-présidente de l’AEDH. "Chacun essaie de préserver son champ de façon à se protéger,  l’idée selon laquelle, si on est accueillant dans un pays, tous les demandeurs d’asile vont venir dans celui-ci plutôt que dans un autre, est toujours présente dans la tête des ministres", ajoute-t-elle.

Ainsi, les textes relatifs à l’asile comportent invariablement "des formes de rédaction qui témoignent de la difficulté qu’a eue la Commission pour essayer d’aller à la fois dans le sens qu’elle voulait, c’est-à-dire vers des progrès, et pour également tenir compte des blocages de certains Etats membres". Ainsi, l’usage du conditionnel ("les Etats membres pourraient") et des prescriptions toutes relatives ("dans la mesure du possible") émaillent ces textes et laissent subsister "des marges de manœuvre et d’appréciation extrêmement larges" qui permettent aux Etats membres de "transposer le moins possible".

Si les associations de défense des droits de l’homme s’attendaient à des difficultés dans les négociations du premier Paquet Asile, dans lequel le seul législateur était le Conseil, elles espéraient, pour ce nouveau Paquet, désiré par le Programme de Stockholm en 2009, que le Parlement européen, devenu co-législateur, pourrait tempérer les ardeurs ministérielles. Or, "nous avions mal imaginé que le Parlement européen serait si faible vis-à-vis du Conseil des ministres", confie Catherine Teule.

Du manque d’harmonisation, auquel le Paquet Asile devait apporter une correction, découlent des pratiques différentes, aisément constatées par le taux de reconnaissance des demandeurs d’asile en 2012. En Grèce, moins de 1 % des demandes sont acceptées. Le Luxembourg figure, "et ce n’est pas très glorieux", a poursuivi la présidente de l’AEDH, en deuxième position avec 2,4 %, la France, "et ce n’est pas très glorieux non plus", est un peu plus généreuse (14,5 %), mais fait moins que l’Italie (36,5 %)  ou encore Malte (90,2 %).

Des idées reçues

Le Paquet asile entendait simplifier et réduire les coûts des procédures mais aussi "mieux remédier aux abus éventuels". Cette dernière expression cacherait un état d’esprit crispé, qui part de l’idée, répandue chez les hommes politiques aussi  bien luxembourgeois que français, "que tous ceux qui sont refusés en première instance ont essayé d’abuser du système", estime Catherine Teule, qui, quelques heures auparavant, avait rencontré des députés luxembourgeois.

Or, "cette explication ne suffit pas", poursuit-elle, en insistant sur le fait que 4/5e des demandeurs d’asile dans le monde sont réfugiés dans des pays en voie de développement, en Jordanie et au Kenya par exemple. "L’UE, économiquement et numériquement, ne fait pas grand-chose." Et elle n’est pas confrontée à un problème qui irait croissant puisque le nombre de demandes était plus élevé au début des années 2000, à une époque où elles n’étaient pas vues comme un problème, qu’en 2013, tandis que le nombre de demandes au Luxembourg a baissé en 2013 par rapport à 2011. Catherine Teule aura par ailleurs rappelé, pour tordre le cou aux préjugés, que, selon la Commission européenne, la moitié des réfugiés en Europe viennent d’Etats dont l’indice de développement humain est élevé, un quart de pays à l’indice moyen, un quart faible. "On est en train d’accueillir en fait la classe moyenne des pays tiers. Et c’est cette classe moyenne qui contribue à notre développement et à la consommation", dit-elle.

Le Paquet a toutefois apporté des améliorations notamment en élargissant, dans la directive Qualification, les motifs donnant accès au droit d’asile à l’appartenance à un groupe social ou à l’orientation sexuelle. Il apporte également un élargissement de la définition de la famille, en impliquant  désormais un seul et même traitement pour une famille et un enfant majeur arrivés ensemble. Il impose aussi des contraintes plus lourdes aux Etats membres sur la qualité de l’accueil de la demande.

L’amélioration de la procédure poursuivie par la Commission européenne n’a pas été atteinte. Catherine Teule explique que l’idée était que si le montage du dossier du demandeur d’asile est mieux réalisé, en lui fournissant une assistance juridique gratuite, si sa défense est meilleure, en lui accordant un avocat gratuitement, si ses conditions de vie sont meilleures, afin qu’il soit un peu plus disponible pour rechercher les informations nécessaires à sa demande, alors la qualité de la décision en première instance sera meilleure et à la fin il y aura un peu moins de procédure d’appel.

Or, cette idée n’a pas été comprise, les Etats membres lui ont opposé la volonté de ne pas paraître attractif. Et sur ce point également, c’est une vision biaisée de la question qui serait à l’origine d’une telle crispation. "On part de l’idée que le demandeur d’asile fait son shopping", grince la conférencière en citant l’expression anglaise "d’asylum shopping", que le règlement Dublin II combat, en imposant que le dossier doit être traité dans le pays dans lequel le demandeur d’asile. D’ailleurs, quand le Parlement européen a proposé une solidarité envers les pays recevant le plus de demandeurs d’asile, il a essuyé un "refus absolu" de la part des Etats membres, prêts à recourir à "tous les éléments de procédure pour limiter le taux d’octroi et l’accueil ou l’arrivée de migrants sur le territoire", juge-t-elle.

Par ailleurs, Catherine Teule souligne que l’un des points les plus choquants du nouveau Paquet Asile consiste dans la confirmation et l’élargissement du recours à la rétention des demandeurs d’asile, jusqu’alors régi par le seul règlement Dublin II et prévu avant le renvoi. Désormais, elle peut être invoquée dans six cas différents, ainsi que le prescrit un nouveau chapitre inscrit dans la directive Accueil : le temps de la vérification de leur nationalité et d’éléments sur lesquels se fonde la demande, en cas de risque de fuite, le temps de statuer sur le droit d’être sur le territoire, au cas où le retour est prévu, que la sécurité nationale est en danger ou en application de Dublin II.

Or, dans le premier et le troisième cas, il y a une contradiction avec la Convention de Genève, estime Catherine Teule. "Il est bien prévu qu’on ne peut en aucun cas d’un demandeur d’asile qu’il arrive sur un territoire avec l’ensemble de ses papiers. Dans toute jurisprudence, cela ne tient pas", explique-t-elle avant de fustiger de nouveau de telles dispositions par une méconnaissance de la situation de personnes prises pour des boucs émissaires.

"Tout est dans l’idée que ce sont probablement de faux demandeurs d’asile", poursuit-elle, en ajoutant qu’il y a désormais pire avec l’accord donné aux autorités répressives des différents Etats membres de consulter le fichier institué dans le cadre du règlement Eurodac, fixant les conditions de prélèvement et stockage des empreintes digitales pour savoir à quel Etat membre revient de traiter sa demande. Les autorités se voient accorder cet accès dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme et le terrorisme. Le Conseil des ministres a troqué ce droit contre celui des demandeurs d’asile à travailler. "Tout est affaire de marchandage de cette nature. Progressivement, une ambition, à l’origine véritable, d’avoir un système d’asile de qualité (…) beaucoup trop souvent battue en brèche par les Etats membres encore incapables de considérer qu’ils sont dans un ensemble à 28 et non pas tout seuls dans leur coin en concurrence les uns avec les autres, dans une concurrence du moins disant", s’agace Catherine Teule.

Lors des questions-réponses, la conférencière a également revendiqué la suppression de toutes les dérogations prévues dans le Paquet Asile, la suppression des procédures accélérées quand le demandeur d’asile provient d’un Etat inscrit sur une liste de pays sûrs et la disparition de telles listes qui sont nationales.

Enfin, elle estime qu’il faut tout simplement en finir avec le règlement Dublin II "qui n’arrange rien". "Une fois qu’ils auront le statut de réfugié, ils auront le droit de circuler dans l’UE. Pourquoi ne pas faire en sorte que dès le départ ils puissent s’installer dans leur pays de leur choix", sans quoi, "c’est faire souffrir certains qui n’en ont pas besoin", estime-t-elle.