Le Conseil européen du 17 juin 2010 a réussi à prendre des décisions importantes pour lutter contre la crise économique. Il a aussi approuvé des mesures qui mèneront à l’élargissement de l’Union européenne vers l’Islande et de la zone euro vers l’Estonie. Les difficultés actuelles, mais aussi la détermination des dirigeants européens à les affronter dans la plus grande cohérence possible, malgré leurs différences, transparaissent dans les conclusions qui ont été adoptées lors du sommet : "L'UE a été unie dans sa détermination à faire face à la crise financière mondiale et elle a pris les mesures nécessaires pour sauvegarder la stabilité de l'Union économique et monétaire. Plus particulièrement, au mois de mai, un accord a été dégagé sur un programme de soutien à la Grèce ainsi que sur un mécanisme et un fonds européens de stabilisation financière, qui a été mis au point en juin. Nous jetons les fondements d'une gouvernance économique beaucoup plus étroite. Nous restons déterminés à prendre toutes les mesures qui s'imposent pour remettre nos économies sur la voie d'une croissance durable et créatrice d'emplois."
Un des premiers chantiers de la gouvernance économique sera la surveillance budgétaire et, plus généralement, la surveillance macroéconomique. En même temps, la coordination des politiques économiques des Etats membres devrait être renforcée.
Plutôt que d’aller dans la direction d’une modification du traité européen, le Conseil européen a jugé que "les règles actuelles en matière de discipline budgétaire doivent être mises en œuvre intégralement." Pour cela, il faudra néanmoins "renforcer les volets tant préventif que correctif du Pacte de stabilité et de croissance" en créant un système de sanctions cohérent et progressif et qui soit le même pour tous les Etats membres.
"Nous sommes tombés d’accord de renforcer les sanctions, aussi bien dans la partie préventive, lorsqu’un pays commence à faire des déficits budgétaires, que dans la partie corrective, c’est-à-dire lorsqu’il faut réduire les déficits le plus vite possible", a expliqué le Premier ministre à l’issue du sommet sur RTL Tele Letzebuerg. A partir de l’année 2011, les pays européens devront mener une politique de consolidation stricte de leurs budgets parce que "nous sommes en train de perdre le contrôle. Nous mettons en jeu les chances pour l’avenir des générations futures. Nous devons donc faire des coupes budgétaires sans briser la croissance économique émergente", a souligné Jean-Claude Juncker.
La surveillance budgétaire sera donc renforcée. Une importance beaucoup plus grande sera accordée à l'évolution de la dette ainsi qu'à la viabilité globale, "comme le prévoyait initialement le Pacte de stabilité et de croissance". Dès 2011, un "semestre européen" permettra aux Etats membres de présenter leurs programmes de stabilité et de convergence pour les années suivantes à la Commission au printemps, en tenant compte des procédures budgétaires nationales. Il importera "que tous les États membres aient des règles budgétaires nationales et des cadres budgétaires à moyen terme conformes au Pacte de stabilité et de croissance", ce qui sera évalué par la Commission et le Conseil. "La qualité des données statistiques, élément essentiel d'une politique budgétaire saine et de la surveillance budgétaire", devra être garantie et "les instituts de la statistique devraient établir les données concernées en toute indépendance."
La surveillance macroéconomique servira à "mettre au point un tableau de bord permettant de mieux évaluer l'évolution et les déséquilibres en matière de compétitivité et déceler rapidement les tendances non viables ou dangereuses" et à "élaborer un cadre de surveillance efficace qui tienne compte de la situation particulière des États membres de la zone euro". Cet aspect-là de la gouvernance économique sera l’objet du rapport final que la Task Force présidée par Herman Van Rompuy remettra lors de la réunion du Conseil européen en octobre 2010.
Jean-Claude Juncker, qui avait écarté tout changement de traité et préféré que toutes les ressources offertes par le traité de Lisbonne et le Pacte de stabilité et de croissance soient explorées, s’est montré satisfait de ces conclusions et a recommandé que la gouvernance économique soit confiée, selon les principes de la méthode communautaire, à la Commission.
Il n’a pas par contre, selon le président de l’Eurogroupe, été question de "gouvernement économique" au Conseil européen. Jean-Claude Juncker a néanmoins reçu le mandat de faire des propositions sur la répartition des tâches entre entre l’Eurogroupe, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Eurogroupe, et ceux du Conseil européen.
L’autre grand chantier est le bon fonctionnement et la stabilité du système financier européen, qui passe par la garantie de la résilience et de la transparence du secteur bancaire.
Dans ce cadre, les résultats des tests de tension que réalisent actuellement les contrôleurs bancaires seront rendus publics au plus tard dans le courant de la deuxième quinzaine de juillet. La communication de la Commission intitulée "La réglementation des services financiers au service d'une croissance durable" du 2 juin 2010 dresse une liste complète d'initiatives à engager et à mener à bien avant la fin de 2011.
Abordant ces tests de tension des banques, le Premier ministre luxembourgeois a expliqué qu’il s’agit de voir pour les 25 grandes banques, dont l’effondrement aurait un effet systémique négatif, comment elles réagiraient face à des grands chocs externes, si elles disposent d’un capital suffisant, et si elles peuvent se défendre. Pour Jean-Claude Junkcer, les résultats de ces tests doivent être rendus publics "parce que les marchés financiers et les citoyens ont le droit de connaître la solidité de leurs systèmes banquiers". Selon des informations provenant d’une source espagnole gouvernementale, une très grande banque aurait récemment le mieux résisté à ces tests.
Pour le Conseil européen, "l'UE doit faire la preuve de sa volonté de mettre en place un système financier plus sûr, plus solide, plus transparent et plus responsable". A ce titre, les propositions législatives sur la surveillance financière devraient être rapidement adoptées, afin que le comité européen du risque systémique et les trois nouvelles autorités de surveillance puissent être opérationnelles à partir du début de 2011. De même, la proposition législative sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs devrait faire l'objet d'un accord avant l'été. Finalement, la proposition de la Commission sur l'amélioration du contrôle par l'UE des agences de notation de crédit devrait être examinée sans tarder. Les propositions annoncées par la Commission sur les marchés des produits dérivés, notamment pour ce qui est des mesures appropriées concernant les ventes à découvert (y compris les ventes à découvert sans contrepartie) et les contrats d'échange sur défaut (CDS) ne sont pas encore prêtes, mais très attendues.
Une partie de la réglementation des services financiers passe selon le Conseil européen par l’instauration par les Etats membres de systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers afin d'assurer une répartition équitable des charges et d'inciter les parties concernées à contenir les risques systémiques". Le dossier sera repris au Conseil européen en octobre 2010.
Très politique, Jean-Claude Juncker a souligné dans ce contexte que les grands groupes banquiers mondiaux, le grand capital financier, a provoqué une crise financière et économique "terrible". Il a jugé "insupportable" le fait que de nombreuses personnes doivent maintenant contribuer à en éliminer les conséquences, et "ceux qui font de nouveau d’importants bénéfices, ceux qui payent de nouveau de gros boni, font comme s’ils n’avaient rien à voir" avec la crise. Pour cette raison, il est partisan de l’introduction d’une taxe sur les transactions financières au niveau mondial, et si cela ne fonctionne pas au niveau mondial, alors au niveau de l’Union européenne, ou au niveau de l’Eurogroupe. "Nous devons faire attention à ne pas nous diriger vers une vague d’explosions sociales parce que les citoyens ne sont plus d’accord avec le modèle économique que nous avons développé", a mis en garde le chef de l’Eurogroupe. Et il a déclaré : "Ici, le principe du pollueur-payeur est donc d’application : ils ont pollué, qu’ils payent !"
L’Union européenne voudrait "préconiser des mesures analogues sur le plan international lors du prochain sommet du G20" et "jouer un rôle de premier plan dans les efforts consentis pour définir une stratégie à l'échelle de la planète visant à l'instauration de systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers, en vue de maintenir des conditions égales pour tous au niveau mondial". Le Conseil européen a en tout cas décidé qu’elle "défendra vigoureusement cette position vis-à-vis de ses partenaires du G20" et qu’il "conviendrait de réfléchir à l'introduction d'une taxe mondiale sur les transactions financières et de faire avancer les travaux dans ce domaine."
"Je crois qu'au niveau du G20, on n'arrivera à rien du tout", a pourtant prévenu le Premier ministre luxembourgeois à ce sujet. La République tchèque a explicitement déclaré dans les conclusions "se réserver le droit de ne pas instaurer de telles mesures". L’assentiment de la Grande-Bretagne n’a pas été donné, mais Jean-Claude Juncker serait ravi d’avoir les Britanniques à bord. Les pays de la zone euro par contre participeront.
Cette taxe devrait selon Jean-Claude Juncker se situer entre 0,01 à 0,05 %. Jusqu’à 200 milliards d’euros de rentrées fiscales sont possibles avec le dernier taux. L’argent pourrait être utilisé soit comme ressource propre de l’UE, soit aller aux budgets nationaux pour y être alloué aux frais qui couvrent la lutte contre la crise économique.
En ce qui concerne les objectifs de la nouvelle stratégie "Europe 2020", le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker a déclaré à l’issue du sommet : "Ces objectifs sont justes. Il nous faut plus de personnes sur le marché de l’emploi, et pour cela nous avons augmenté le taux d’emploi à 75 % dans toute l’Europe. Le Luxembourg est actuellement à 72 %. Même si le taux a augmenté pendant les dernières années, le Premier ministre pense que le Grand-Duché n’atteindra probablement pas les 75 % dans les dix prochaines années, "mais il faut aller dans cette direction parce que c’est un élément essentiel pour financer nos systèmes de pensions". Et d’ajouter que "nous avons besoin du plus grand nombre possible de personnes qui travaillent."
Jean-Claude Juncker a par ailleurs déclaré que le Luxembourg ne sera pas en mesure d’investir 3 % de son PIB dans le R&D d’ici 2020, vu l’impossibilité du pays à intervenir en amont sur des activités de recherche qui sont planifiées au niveau international pour être ensuite éventuellement mises en œuvre au Luxembourg. Le Luxembourg visera donc les 2,6 % d’investissement dans le R&D. La stratégie Europe 2020 vise également à réduire à moins de 10 % le nombre des jeunes qui abandonnent leurs études. Là aussi, le Premier ministre estime que le Luxembourg peinera à atteindre cet objectif à cause des difficultés d’inclure les enfants issus de l’immigration dans cet effort.
Après avoir examiné la demande d'adhésion sur la base de l’avis de la Commission européenne et de ses conclusions de décembre 2006 relatives au consensus renouvelé sur l'élargissement, le Conseil européen a noté "que l'Islande respecte les critères politiques définis par le Conseil européen de Copenhague en 1993" et a décidé "qu'il convient d'ouvrir les négociations d'adhésion".
L'Islande avait déposé le 28 juillet 2009 sa demande de candidature à l'Union européenne. Moins d'un an après, l'Islande a donc obtenu le feu vert à l'ouverture de négociations d’adhésion. Hasard du calendrier, le 17 juin coïncide avec la fête nationale islandaise.
L'Islande est à un stade de rapprochement avancé avec l'UE : elle participe au marché commun depuis 1992 par le biais de l'Espace économique européen. Membre également de l'espace Schengen, l'île applique déjà de nombreuses lois européennes nécessaires pour une adhésion.
La réaction de l’Islande à la décision du Conseil européen était plutôt enthousiaste. Le ministre des Affaires étrangères islandais, Össur Skarphéðinsson, a déclaré: "C’est une bonne journée pour l’Islande et pour nous tous." Il considère le soutien unanime de l’UE pour l’ouverture des négociations comme un "vote de confiance dans l’Islande en tant que partenaire solide européen". Et d’ajouter : "Nous sommes chez nous en Europe et l’adhésion de l’Islande à l’UE servira certainement nos intérêts commun."
Reykjavik a dit dans le passé espérer rejoindre l'UE à l'horizon 2012. Reste que la population islandaise sera consultée par référendum au terme des négociations. Selon des sondages, la majorité des Islandais seraient favorables à un retrait de leur candidature à l'UE.
Le Conseil européen a également félicité l'Estonie pour les résultats qu'elle a obtenus en matière de convergence, "grâce à une politique économique et financière saine" et il a noté "avec satisfaction qu'elle respecte tous les critères de convergence énoncés dans le traité". Il a donc accueilli favorablement la proposition de la Commission prévoyant l'adoption par l'Estonie de l'euro le 1er janvier 2011. Le Conseil Ecofin du 8 juin avait déjà approuvé une recommandation de l’Eurogroupe appuyant l'adhésion de l'Estonie à la zone euro.