Le 27 septembre 2011, Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe et Premier ministre luxembourgeois, était invité au Parlement européen pour une séance de questions-réponses qui s’est tenue en plénière et a porté tant sur la gouvernance économique de la zone euro que sur la crise que traverse cette dernière.
Si Jean-Claude Juncker était présent à cette heure des questions annoncée à la dernière minute, c’est "par politesse à l’égard du Parlement", mais aussi, comme il l’a glissé au cours de la discussion, parce que certains auraient tenté de le convaincre de ne pas venir. Jean-Claude Juncker était invité en tant que président de l’Eurogroupe, mais nombre d’eurodéputés n’ont pas manqué de l’interpeller en sa qualité de Premier ministre du Luxembourg, voire même de citoyen européen, pour lui faire part de leurs inquiétudes.
C’est sans concession, et sans se départir d’un iota de la ligne qu’il défend depuis bien des semaines, que Jean-Claude Juncker s’est prêté au jeu des questions-réponses.
"L’Europe a réagi à pas de sénateur", a-t-il concédé en réponse à Joseph Daul (PPE) qui se demandait si, devant une volonté affichée de défendre l’Europe suivie d’actions insuffisantes et trop tardives, ou encore difficiles à mettre en œuvre, ce n’était pas les marchés qui étaient aux commandes. Pour Jean-Claude Juncker, la tâche n’est pas aisée face à une situation où se combinent gravité de la crise, absence d’analyse précoce, et respect nécessaire des 17 démocraties de la zone euro. Il s’agit maintenant à ses yeux de "traduire en réalité les décisions du 21 juillet 2011" et de "réfléchir au-delà".
Réagissant à la remarque de Joseph Daul qui dénonçait "les limites de la gestion intergouvernementale de la crise", Jean-Claude Juncker a expliqué préférer, et de très loin, la méthode communautaire. Pourtant, lui a fait remarquer Martin Schulz (S&D), en tant que Premier ministre luxembourgeois, il appartient aussi au club de l’intergouvernementalisme, certes pas par conviction. "La longue amitié qui nous lie" a amené Martin Schulz à "me décrire comme acteur et comme victime", a-t-il répondu, se disant "touché". "La manière dont nous gérons la zone euro m’inquiète", a concédé le président de l’Eurogroupe, ajoutant connaître les faiblesses de l’exercice de sa fonction et reconnaissant un besoin de réformes.
Pour autant, contrairement à l’idée de Martin Schulz selon laquelle il reviendrait au président de l’Eurogroupe de présider le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro, Jean-Claude Juncker soutient Herman Van Rompuy pour ce faire. Mais, précise-t-il, "je n’aimerais pas que les chefs d’Etat et de gouvernement dirigent les choses au point que l’Eurogroupe ne puisse plus faire son travail".
Ce travail, il l’explique aux parlementaires : il s’agit de discuter sans cesse, d’écouter beaucoup, de tenir compte des différentes sensibilités. Aussi, Jean-Claude Juncker n’aimerait pas que les ministres des Finances qui se réunissent chaque mois perdent de l’énergie. Et puis, lance-t-il, "il ne faut pas s’en tenir seulement aux déclarations du Conseil européen, en attendre trop des chefs d’Etat et de gouvernement". Jean-Claude Juncker plaide donc pour une harmonisation du travail entre le président de l’Eurogroupe et le président du Conseil. Et il précise un peu plus tard que cette réunion des chefs d’Etat et de gouvernement aurait vocation à donner des impulsions à l’Eurogroupe.
Mais, pour répondre à une demande de Martin Schulz, Jean-Claude Juncker est favorable à l’idée qu’Herman Van Rompuy soit, en tant que président du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro, responsable aussi devant le Parlement européen. Daniel Cohn-Bendit (Verts/ALE) a insisté sur cette nécessaire "responsabilisation des institutions communautaires", ne cachant pas ses craintes qu’un renforcement du rôle d’Herman Van Rompuy ne revienne à "s’exclure de la méthode communautaire".
Répondant à une vive attaque de Daniel Cohn-Bendit visant Herman Van Rompuy, Jean-Claude Juncker a tenu à défendre ce dernier avec fermeté, expliquant combien il fait "un bon président du Conseil européen", faisant preuve de "beaucoup de savoir-faire, de beaucoup de détermination", loin donc du "notaire de ses principaux actionnaires" que d’aucuns décrivent.
Guy Verhofstadt (ADLE), critique à l’idée de la proposition franco-allemande d’un gouvernement économique qui consisterait à une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro deux fois par an – il estime qu’ils devraient plutôt se réunir deux fois par semaine, voire deux fois par jour en cas de crise -, propose que ce gouvernement économique soit organisé avec à sa tête une personne à plein temps. De même d’ailleurs pour l’Eurogroupe. Il suggère de donner ces responsabilités au commissaire en charge des Affaires économiques et monétaires plutôt que de "créer un nouveau bidule institutionnel".
Jean-Claude Juncker lui rappelle en réponse avoir "une conception large de la notion de gouvernement économique", un concept pour lequel il a d’ailleurs plaidé dès 1991 et qu’il se dit très heureux de voir l’objet d’un certain "œcuménisme" actuellement. Certes, il pointe aussi la nécessité de se mettre d’accord sur le contenu d’une notion qui devrait selon lui couvrir les politiques budgétaires, économiques, fiscales et sociales.
"Je suis partisan d’un système institutionnel qui donne sa place à la Commission", poursuit Jean-Claude Juncker selon qui "tout n’est pas possible avec la Commission, mais rien n’est possible sans elle".Une façon d’exprimer ses interrogations quant à la pertinence d’accorder mandat pour présider à la prise de décision à un membre de ce collège qui a pour vocation de proposer. Jean-Claude Juncker juge cependant "approprié" de "renforcer le rôle du commissaire".
Pour Daniel Cohn-Bendit, il faudrait renforcer la capacité de la Commission de diriger la gouvernance économique. Ce à quoi Jean-Claude Juncker rétorque que la Commission n’a pas vocation à gouverner, mais à proposer. "Je voudrais qu’elle-même et tous les autres respectent ce monopole de l’initiative", a-t-il lancé, plaidant pour un retour à la méthode communautaire et appelant de ses vœux une Commission qui soit "la plus forte possible", sans se faire pour autant l’illusion que les gouvernements disparaîtront jamais du champ décisionnel.
Sylvie Goulard (ADLE) s’est cependant interrogée sur la conception que Jean-Claude Juncker a d’une gestion de la crise par la méthode communautaire. Le président de l’Eurogroupe a précisé ses vues, concédant que la méthode communautaire classique connaît bien des défauts et n’offre en effet pas des instruments permettant une réactivité suffisamment rapide. Dans ces cas où la méthode communautaire revêt insuffisamment d’instruments de travail, plaide-t-il, "il faut se laisser guider par l’esprit communautaire".
Pour autant Jean-Claude Juncker a rejoint plusieurs de ses interlocuteurs sur le fait qu’il n’est pas non plus en faveur d’une multiplication des cénacles.
L’idée de créer un ministre européen, remise sur la table dans le débat, Jean-Claude Jucnker ne l’exclut pas, mais il s’interroge sur ce que pourrait bien faire ce ministre dans la mesure où les politiques économiques relèvent de la responsabilité des Etats membres et doivent être coordonnées.
En matière de gouvernance économique, Jean-Claude Juncker juge nécessaire un accord sur les éléments de contenu. "Je voudrais un programme d’ici quelques mois qu’il faudrait mettre en place étape par étape", a-t-il rêvé, expliquant qu’on s’engageait là sur un terrain inconnu et que cette avancée étape par étape est donc indispensable pour que chacun comprenne le rythme auquel on avance.
Interpellé sur la probabilité pour certains pays de devoir quitter la zone euro, Jean-Claude Juncker s’est montré inflexible : "je suis tout à fait opposé à toute idée de sortie contrainte de la zone euro". Cela ne résoudra rien selon lui, et risquerait même d’aggraver les problèmes pour les pays concernés, pour ceux de la zone euro, et même au-delà. Traité "d’autruche politique" par Nigel Farage (EFD) qui voit comme "une erreur de garder la Grèce dans la prison de l’euro", Jean-Claude Juncker a réitéré son point de vue et a souligné qu’il n’était sans doute pas sage de se lancer dans tout type de spéculation quant à l’avenir de la Grèce.
"Les problèmes que rencontrent ces pays ne sont pas liés au fait qu’ils sont membres de la zone euro", souligne en effet Jean-Claude Juncker qui estime qu’il est dans l’intérêt de tous que la zone monétaire garde sa cohérence de contenu et de géographie.
Faisant le point sur la Grèce, Jean-Claude Juncker a rappelé que le versement de la sixième tranche d’aide à la Grèce serait décidé en fonction du rapport que doit fournir la troïka. "Il faut observer le rythme que nos procédures nous imposent", a-t-il rappelé dans ce contexte, prévenant qu’a priori, aucune décision ne pourrait être prise au cours de la réunion du 3 octobre 2011, dans la mesure où les ministres n’auront pas eu le temps de prendre connaissance de manière approfondie de l’évaluation faite par la troïka.
Si la mission a quitté Athènes, Jean-Claude Juncker a précisé que les vues des experts de la BCE, de la Commission et du FMI et celles des autorités grecques s’étaient entre temps rapprochées, laissant prévoir un retour de la troïka dans les jours à venir en Grèce. Jean-Claude Juncker s’est dit "interpellé par le niveau élevé du chômage en Grèce, ainsi que dans les autres pays", une aggravation qui est liée à une récession plus profonde que la troïka ne l’avait estimée lors de sa dernière mission. "Très préoccupé parfois par ce qui se passe en Grèce", Jean-Claude Juncker estime que de nombreux citoyens grecs ne comprennent pas ce que nous sommes en train de faire. Or, l’assainissement des finances publiques grecques est, à ses yeux, essentiel, dans la mesure où l’on ne peut lutter contre la dette par la dette. Le devoir de solidarité existe, à condition que les autorités grecques acceptent de porter leur part du fardeau, a rappelé le président de l’Eurogroupe.
Jean-Claude Juncker a rappelé que, selon l’accord du 21 juillet, une panoplie de mesures d’assistance administrative était prévue pour accompagner la Grèce. Une task force travaille à mobiliser les fonds structurels tandis que les Etats membres ont proposé de mettre à la disposition de la Grèce leur savoir-faire en matière notamment de perception de l’impôt. "La Grèce a besoin d’une assistance technique et administrative, les Etats membres sont disposés à l’aider", a résumé le président de l’Eurogroupe.
En ce qui concerne l’Irlande, Jean-Claude Juncker s’est dit, une fois de plus, "admiratif devant la résolution irlandaise". Le cas irlandais prouve selon lui qu’on peut construire la solidité en alliant auto-responsabilité et solidarité.
La réunion de l’Eurogroupe du 3 octobre 2011 permettra d’affiner les détails de la mise en œuvre de l’accord du 21 juillet, certains problèmes techniques restant à résoudre. Jean-Claude Juncker juge essentielle une mise en place de cet accord pour la mi-octobre. "Il n’y plus de temps à perdre" selon lui, mais les démocraties doivent respecter leurs propres règles. "Je préfère la sérénité des démocraties parlementaires à la célérité des marchés", a-t-il conclu.
Pour ce qui est des pays qui, comme la République tchèque, ont adhéré à l’UE sans dérogation, ils se sont engagés à devenir membre de l’UEM dès qu’ils rempliront les critères. Pour Jean-Claude Juncker, "l’UE sera complète lorsque tous ses Etats membres auront adopté l’Euro".
"Dans cette spirale infernale, il serait utile de communiquer aux marchés que nous travaillons à l’architecture d’une Union fédérale", a lancé Frank Engel (PPE). "Je doute que nous puissions inventer un discours de nature à convaincre les marchés", a remarqué Jean-Claude Juncker avant de concéder que "si les marchés nous percevaient comme une entité solide et soudée", les choses seraient cependant plus aisées. Pour autant, en dehors du fait qu’il n’est pas un partisan des Etats-Unis d’Europe mais plutôt d’une méthode communautaire bien coordonnée, Jean-Claude Juncker rappelle aussi qu’il ne relève pas de son mandat de se lancer dans de tels discours. "Je regrette l’absence déplorable de discipline verbale après les réunions de l’Eurogroupe", a lancé un peu plus tard Jean-Claude Juncker, constatant que "cela n’ajoutait pas à notre crédibilité".
Pour ce qui est de la communication avec les citoyens, Jean-Claude Juncker a assuré les parlementaires que, lorsqu’on s’explique, la plupart des citoyens comprennent. Leurs doutes étant liés au fait que, comme tout un chacun, les citoyens veulent tout comprendre. Or, "nous avons des facultés de pédagogue limitées", a-t-il avoué.
Défendant la politique de la BCE qui "fait à juste titre ce qu’elle fait", Jean-Claude Juncker a tenu à rassurer Lothar Bisky sur le fait que l’EFSF, dont il a bon espoir qu’il fonctionnera selon ses nouvelles dispositions en octobre, fonctionnera lui sur la base de règles claires quant au rachat d’obligations.
Interpellé par Lothar Bisky(GUE/NGL) sur la charge fiscale ressentie par les citoyens, Jean-Claude Juncker a souligné qu’il est nécessaire de miser sur plus de croissance, et ce quelle que soit la consolidation.
Pour Robert Goebbels (S&D), cette pression fiscale devrait conduire à un moratoire sur les taxes écologiques à venir. Un raisonnement que Jean-Claude Juncker se refuse à suivre.
"Il faudra nous mettre d’accord sur une politique de croissance non-inflationniste et créatrice d’emplois sans laquelle nous ne sortirons pas de la crise", a réitéré plus avant Jean-Claude Juncker.
"Tout en appréciant ce que fait l’administration Obama, ne nous laissons pas trop impressionner par le programme américain de lutte contre le chômage", a réagi Jean-Claude Juncker à une remarque d’un député qui regrettait l’absence d’un tel plan en Europe. 90 % des mesures prévues aux Etats-Unis existent déjà en Europe, a précisé Jean-Claude Juncker aux yeux de qui "ce sont les Etats-Unis qui s’inspirent du modèle social européen", ce dont il se réjouit.
Claude Turmes (Verts/ALE) a souligné la nécessité d’investissements dans l’énergie, et ce en mobilisant non seulement les fonds publics, mais aussi les fonds privés. "Les politiques d’investissement sont nécessaires", a reconnu Jean-Claude Juncker, jugeant que les instruments offerts par la BEI étaient sous-utilisés dans la zone euro et dans l’UE. Le président de l’Eurogroupe voit d’un bon œil l’idée d’une synergie entre capitaux publics et privés pour viser les territoires désavantagés. Il a plaidé pour des investissements toujours plus novateurs qui devraient "rencontrer les ambitions de l’UE en matière énergétique".