A l’occasion des Midis de l’Europe, le député européen socialiste Robert Goebbels était invité à débattre, le 8 novembre 2013 à Luxembourg, de la nécessité d’une politique migratoire européenne après les tragédies à répétition dont les récents événements de Lampedusa, petite île italienne au large de laquelle plusieurs centaines de migrants ont péri noyés.
Ces 12 dernières années, 20 000 personnes seraient mortes noyées en tentant de rejoindre les côtes du Sud de l’Europe dans des drames à répétition. Pour le député européen, de tels drames doivent inciter l’Europe à réfléchir à une véritable politique d’immigration qui aille dans un sens plus généreux. L’UE ne serait cependant pas une entité fermée selon Robert Goebbels, qui a rappelé que sur 400 000 demandes d’asile politique par an, l’UE en accordait environ 100 000. "En général, l’asile se décide par voie de justice, et j’ai confiance dans les systèmes de presque tous les Etats européens". Celui-ci pointe néanmoins Malte qui octroie un tel statut de réfugié politique à près de 90 % des candidats "probablement parce que ce pays encore plus petit que le Luxembourg a trouvé ce moyen pour se débarrasser des émigrants dits politiques qui peuvent ensuite voyager dans toute l’Europe".
Pour l’eurodéputé luxembourgeois, l’espace Schengen reste l’un des éléments de la politique européenne les mieux acceptés par les citoyens. Les accusations selon lesquelles il aurait entraîné une hausse de la criminalité et de l’immigration illégale sont simplement fausses. "La preuve, le Royaume-Uni qui n’est pas membre de l’espace Schengen connaît les taux parmi les plus élevés" en la matière, assure-t-il.
Robert Goebbels plaide ainsi pour une politique migratoire organisée a contrario des 28 politiques différentes actuelles. Il rappelle qu’aux Etats-Unis, pays qui abrite 320 millions d’habitants, 800 000 immigrants légaux sont accueillis chaque année, à travers un système de loterie. "C’est un système pragmatique, qui laisse une chance réelle à chacun". D’autant qu’un système similaire aurait l’avantage, outre laisser un espoir aux migrants économiques, de "réduire les velléités d’immigration illégale, et cela détournerait probablement un certain flux qui tombe sous l’emprise des réseaux clandestins mafieux, très chers et dangereux", assure-t-il.
Un objectif annuel de 500 000 immigrés légaux dans l’UE serait tout à fait envisageable, même si au vu de la taille de l’UE (plus de 500 millions d’habitants), celui-ci pourrait aller jusqu’à 1 million, estime Robert Goebbels. D’autant que dans une Union vieillissante, la jeunesse migrante est une nécessité. "Les études montrent qu’elle est généralement bien formée, la plupart des migrants ont un niveau bac", souligne-t-il. Tout en reconnaissant qu’il n’est pas simple d’accueillir des milliers de personnes de culture différente, celui-ci souligne l’exemple du Luxembourg et de l’histoire européenne "qui montrent qu’on peut le faire". "Ce sont des mouvements humains naturels dont il ne faut pas avoir peur", ajoute-t-il.
Selon lui l’UE ne pourra d’ailleurs tenir son rang dans le monde qu’avec une politique d’immigration plus positive, l’évolution démographique sur le continent européen étant déclinante. "Si on réussit cette immigration choisie, alors l’UE pourra garder son rang. Dans vingt ans, dans un monde de 9 milliards d’êtres humains, nous serons encore 500 millions si nous réussissons à nous ouvrir à l’immigration." D’autant qu’en raison notamment des politiques d’austérité menées en Europe et du chômage croissant, l’UE est confrontée à une forte émigration, en particulier des jeunes diplômés, qui a conduit au cours des deux dernières années quelque 200 000 universitaires espagnols et 100 000 Irlandais à quitter leur terre natale et l’UE.
L’eurodéputé luxembourgeois est encore revenu sur la question de la Syrie où pas moins de 9 millions de personnes sont déplacées en raison du conflit dans ce pays. Le Liban, pays de 4 millions d’habitants et qui connaît une forte instabilité politique accueille 1 million de réfugiés, la Jordanie voisine ou la Turquie plusieurs centaines de milliers. Saluant la décision nécessaire mais insuffisante du Conseil de débloquer 400 millions d’euros pour venir en aide à ces réfugiés, il a ironisé sur l’attitude de certains Etats membres. "L’Europe se fait parfois beaucoup de mal face à l’immigration clandestine. Quand 10 000 réfugiés arrivent à Lampedusa, Silvio Berlusconi (ancien président du conseil italien) a failli faire une révolution contre le système Schengen, c’était d’un ridicule parfait", a-t-il lancé, évoquant les semaines qui ont suivi la révolution en Tunisie au début 2011.
S’il estime que les Etats les plus riches doivent assumer leur rôle pour aider les Etats membres méditerranéens qui sont confrontés aux afflux de migrants, le député ne se dit néanmoins pas favorable à un système de quota de répartition par pays, les migrants ayant "le plus souvent une idée précise du lieu vers où ils veulent aller", assure-t-il, le député plaidant plutôt pour un renforcement des budgets dédiés à la politique de l’immigration.
Le député juge notamment qu’il faut renforcer la protection des frontières extérieures communes de l’UE. "Je suis de ceux qui disent que nous ne pouvons pas accueillir en Europe tout le malheur du monde et il faut donc défendre ses frontières". C’est là la raison d’être de Frontex qui est largement sous-dotée ou du nouveau programme Eurosur de surveillance des frontières du sud de l’UE. "Le dernier Conseil européen dans sa grande sagesse n’a pas décidé grand-chose suite au drame de Lampedusa si ce n’est la mise en place d’un groupe de haut niveau. J’espère que les experts accoucheront de quelque chose de beaucoup plus consistant que la politique d’immigration actuelle", a-t-il conclu.